"Mon Meilleur ennemi" : L'impossible dé-monstration
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Après cette seconde carrière, Klaus Barbie est néanmoins contraint à un exil prudent en Amérique Latine où, après une péride dabstinence discrète, il se retrouve à nouveau impliqué dans diverses entreprises tant anticommunistes, en particulier avec sa participation à la mort de Che Guevara, que néonazies, avec son rôle central dans un putsch en Bolivie dont un objectif était dinstaurer un 4ème Reisch dans les Andes.
Finalement lâché sans protection, exposé par la publicité faite autour de lui par Serge et Beate Klarsfeld, Barbie est dans un dernier acte livré à la France pour le procès historique de 1987 où il sera défendu par lavocat Jacques Verges.Que dire de ces 37 jours daudiences ? Peut-être en relever lambigüité devant des objectifs multiples et variables. Pour les uns lieu décriture de lhistoire, pour les autres tribune de la mémoire, pour dautres encore recherche dune trace dhumanité, dune émotion, dun impossible pardon, ou au contraire dun point focal à la colère, la peine, la douleur, la vengeance. Pour laccusé, réfutation de la légitimité du procès, sans explication, quasiment sans implication dans des débats soit auxquels il nassiste pas, soit dans une position de victime dun enlèvement détat qui interdit alors de le juger. Pour son avocat lieu dune défense en rupture disqualifiant un jugement par un pays coupable à ses yeux dans ses colonies des mêmes crimes reprochés à laccusé durant la guerre. Le regard des historiens et des commentateurs étrangers est à cet égard éclairant, sidéré quil est par la méthode des débats sappuyant sur le témoignage des victimes, par nature fragile à 40 ans de distance des faits, contrairement aux procédures anglo-saxonnes et mises en uvre lors des procès de Nuremberg sappuyant essentiellement sur des preuves tangibles abondamment discutées.
Mais pouvait-il en être autrement dès lors quon avait de fait voulu concentrer dans cet événement unique tous les aspects dune réalité et de vécus multiples ? Lhistoire, le pardon, la rédemption, lhumanité, le crime, labject, lobéissance, la liberté, la conscience, la monstruosité, sont des sujets sans doute trop vastes pour être enfermés dans le cas dun seul homme, si emblématique soit-il.
Et cest pourtant chargé de toutes ces questions quon se laisse surprendre par la fin du film, encore sous le vertige du gouffre des interrogations non résolues. De lespace immesurable entre ce que lon comprend des faits et ce que lon ne saisit toujours pas de ce qui a conduit un homme à ce niveau détrangeté. Car ce quil y a de plus troublant dans labime de lhorreur, ce nest pas tant cette nausée qui détruit tout sous le vent de la souffrance quil a englouti, ce qui serait déjà à peine supportable, mais cest surtout lincompréhension, et le sentiment que cette incompréhension ne protège toujours pas dun retour de la barbarie, que si le germe de cette folie a pu prendre racine et fructifier chez cet homme-là, rien nempêcherait encore quil se redéveloppe, et peut-être même en nous sans quon le sente venir. On attendait cela, on lespérait, on limplorait, et on reste sur sa faim, suspendu dans le vide dune chute dont on ne voit toujours pas la fin.Sil y a une réponse, elle nest pas dans ce film. Mais peut-être ny en a-t-il pas, peut-être que notre condition est justement daccepter quil y a en ce monde, en nous, quelque chose qui nous dépasse peut-être parce quelle est trop intinsèquement liée à notre nature même, dont on parvient parfois à chasser les effets les plus violents lorsquils prennent une importance démesurée mais sans jamais avoir la possibilité de léradiquer. Si cest finalement cela la leçon jamais close de cette histoire, alors elle est bien là, tracée en creux, dans ce film.
De cette entreprise de mise en lumière de la monstruosité, projet de montrer le monstre comme celui quon montre pour en démonter les rouages, pour le dé-monstrer, de cette tentative de « démonstration » au sens littéral, on sort épuisé devant ce qui pourait apparaître comme un échec, une impossibilité de la démonstration, mais qui est aussi bien et au contraire notre devoir dacceptation de sa permanence et de limpériosité de notre vigilance.
DVD éditions Wild Side Video. Sortie le 7 mai 2008.
Le film lui-même est complété dun document spécifique sur le procès, avec interviews dhistoriens et de quelques participants au procès. Des bonus sous forme de panneaux synthétiques reprennent quelques faits ou dates remarquables pour le sujet dans lhistoire de la seconde guerre mondiale et dans lhistoire des procès contre certains de ceux qui sy sont sombrement distingués (on peut juste ici regretter lerreur sur le DVD qui fait terminer la liste des informations sur le cas de Maurice Papon par un panneau concernant en réalité René Bousquet).
Notre note
(4 / 5)
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