"A Night to dismember" : Le Rouge est mis

Doris Wishman, 1983

Pour
annoncer la couleur, affligée du syndrome Marnie, je naime pas le
rouge et je ne regarde jamais de films dhorreur, jen suis même
arrivée à faire un petit complexe, dailleurs le Marquis ne me la pas
envoyé répondre « petite nature », il a dit Je men vais donc, vexée,
enchérir sur ebay sur la merveille exhumée par MF (lire le billet du Dr D) : «A Night to dismember» (1983),
on trouve facilement le dvd en zone 1, et, soit dit en passant,
personne ne me dispute mon enchère Ce petit prologue pour expliquer
que lavis qui va suivre est le fruit de lobservation dun Candide au
pays des haches sanguinolentes et que je suis bien incapable de situer
ce film dans une perspective de tel ou tel mouvement de cinéastes
dhorreur et tout le bla-bla

—–

Ce
qui me frappe dans ce film, cest labsence de suspense, les agressions
sont balisées et ritualisées à ce point quon peut anticiper les
massacres et les pré-zapper, si jose dire, ce que je ne me suis pas
privée de faire pour me débarrasser du rouge Mais cest sans doute le
cas de tous les films de ce genre, quand, férue de polars et de
thrillers à chercher le pourquoi du comment, je débarque dans un monde
de passages à lacte exhibitionnistes apparemment gratuits


Néanmoins,
les impressions que me laissent ce film sont à peu près le contraire de
ce qui est montré à lécran : on sent une sorte dingénuité à montrer
lhorreur, ce nest dailleurs par lhorreur qui est filmée mais la
représentation de lhorreur, comme vue de lextérieur. Une tornade de
pulsions sanguinaires affecterait les sujets comme une épidémie quon
nessayerait même pas dendiguer, les victimes et leur entourage voyant
arriver la catastrophe telle une fatalité à laquelle ils sont obligés
de se soumettre, impuissants à se défendre.


Ce
parti pris de représentation, conscient ou pas, implique une
théâtralité des personnages, des lieux et des situations où tout serait
montré que dhabitude on veut cacher : les acteurs sont pointés en
train de jouer, les décors montrés comme tels, et, curiosité
scénaristique, les situations nobéissent à aucune logique que celle de
la fin justifiant les moyens, un objectif : faire gicler le sang, comme
dans les pornos le sperme, point barre. Pour lun, le facteur sonne à
la porte et culbute la nympho de service dans la scène suivante, pour
lautre, nimporte qui prend une douche, des pas, une hache dans
lombre et les têtes tombent! Naturellement, je caricature mais pas
tant que ça


Dans
cette « Night to dismember », on va loin dans le décalage avec la
réalité en faisant jouer les acteurs comme dans un film muet
chorégraphié sur la voix off du narrateur, pire, quand les acteurs se
disent enfin deux phrases, ce ne sont pas eux qui parlent mais une voix
plaquée par dessus, plutôt simple, comme venue dun autre film. La
prépondérance de la musique est difficilement compréhensible, perçue
comme banale mais allant paradoxalement la plupart du temps dans le
sens inverse de la marche plutôt que ce à quoi on sattendrait
daugmenter langoisse chez le spectateur.


Deux
frères dans la famille Kent avec chacun deux filles. Le frère Kent 1 va
voir sa famille décimée : ses deux filles dentre-tuent et sa femme est
assassinée dans sa baignoire dans la foulée. Au tout début du film, une
jeune femme sapprête à prendre son bain, le corps maigre avec des
tâches dans le dos, relevant ses cheveux teints en jaune roux en
chignon, lactrice a quelque chose de misérable et crade, une tête de
victime sur mesure dont la mort la soulagerait de son pénible séjour
sur cette terre. Soudain, on filme une paire de pieds avec des ongles
pas soignés, trop longs, pas vernis, à noter que pendant tout le film,
la menace est symbolisée par les pieds et je cherche encore pourquoi…
Puis, lombre dune arme blanche sur un mur. Dans les scènes suivantes,
la séquence sera identique : un individu seul, des pieds, une arme, un
carnage. Avec une variante : lindividu se sentant pris au piège dans
une pièce va se mettre en danger non pas en y restant mais en sortant
justement de cette pièce pour aller dans la suivante vérifier que tout
va bien


Revenons
à lhistoire avec les déboires du frère Kent 2 : Adam Kent, la
cinquantaine adipeuse, calvitie et moustache agressive, est flanqué
dune épouse à mise en plis et de deux filles Vicky et X. La une du
journal local annonce que Vicky Kent vient dêtre relâchée de son asile
mais, comme dit laccroche du DVD, est-elle vraiment guérie?
Cinq ans auparavant, Vicky Kent avait assassiné deux jeunes gens qui
jouaient dans un cimetière, ambiance… Flash-back sur le drame :
devant limminence dune agression (plan de pieds dans lherbe) ces
deux-là sétaient précipité dans une cave, sans doute pour devancer
lappel dêtre massacrés plus vite


Vicky
sort donc de lasile, portant à son bras un immense sac à main rouge
sang, et monte en voiture avec ses parents. Sur la banquette arrière,
Vicky, dont la voix off dit quelle supporte mal de retrouver lair
libre, est prise de vertiges que la réalisatrice montre en faisant
basculer les images un peu nimporte comment pourvu que ça tourne comme
après une cuite. De retour dans lappartement familial sinistre, décor
tout blanc avec moquette et abat-jour rouge, canapé zébré en fausse
fourrure, Vicky retrouve sa chambre où il manque une photo sur un mur
Sa sur, qui complote pour la faire retourner à lasile, a un petit ami
(celui de la photo manquante) aimé de Vicky (pas très bien compris si
elle aime le petit ami de sa sur ou si cest ex le sien que sa sur
aime).


Pour
revenir une minute à lhistoire du frère Kent 1, avant dêtre
poignardée dans sa baignoire, son épouse est présentée comme ravissante
à forte poitrine (tombant à la taille mais passons) débordant dune
blouse ouverte rouge à pois blancs. Après avoir assassiné les deux
jeunes gens du cimetière et sans doute sa jolie tante, quand Vicky
reviendra en ville cinq années plus tard reprendre du service dans le
maniement de la hache, elle portera un t.shirt imprimé en sens inverse
: blanc à pois rouges Coquetterie de la réalisatrice dont on note
lapplication à parsemer son film de codes et de symboles alors quau
point où on en est


Une
scène très années 70 vient se greffer dans le film, par rapport au
reste, cest encore la plus cohérente avec une tentative de poésie : le
détective vient voir Vicky qui le séduit en exécutant un strip-tease
faisant virevolter son jupon dont le tissu occupe tout lécran, puis,
elle saffale sur un siège et son image se brouille Sen suit un rêve
érotique éveillé représenté par deux corps emmêlés qui passent par
plusieurs couleurs et finissent par le rouge, évidemment Mais
entre-temps, les draps deviennent de leau et leau des draps, comme
une tentative de purification par une sexualité harmonieuse condamnée :
Vicky se relève et on vérifie que la culotte est assortie à son
soutien-gorge rouge, touchante obstination à soigner les détails


Létonnement
que provoque de genre de films, cest lacceptation des personnages de
se faire massacrer, les victimes, incapables de se défendre, sont
quasiment consentantes quand elles ne se mettent pas carrément en
situation de se faire agresser. On admet la toute puissance du
meurtrier par lentremise de larme blanche, lobjet phallique par
excellence, qui immobilise la proie pétrifiée, entre peur et désir,
entre sexe et mort.

Pour le cas qui nous occupe, la surprise vient au moins autant de
la forme que du fond : comment expliquer cette surenchère du spectacle
(décors ostensiblement exposés, acteurs exhibés comme jouant la
comédie) autrement que par lanémie du budget ne laissant pas dautre
alternative que de tirer parti des carences? Que ce choix soit ou non
prémédité, secret de fabrication, on obtient au final un film punk
avant la lettre : puisquon na pas les moyens, soyons pire que tout


En
conclusion, ce film, désarmant dobstination à faire du cinéma sans en
avoir les moyens, touche par son côté artisanal et sa bonne volonté à
fignoler des détails quand lessentiel ne tient pas debout.
Le sujet du film pourrait être (comme sans doute dans tous les films du
genre) la ritualisation de la violence présentée comme une cérémonie,
un mal inéluctable, une conversion des pulsions libidinales en
instincts meurtriers irrépressibles, les vamps retrouvant leur
étymologie de vampires Cependant, la propension à bâcler lintrigue et
à faire fi de la logique narrative, sans parler de linterprétation de
fortune, nous souffle confusément que le sujet de « A night to
dismember » ne serait peut-être quun prétexte à faire un cinéma
pictural (une toile) Le scénario étant le cadet des soucis de la
réalisatrice, visiblement immergée durablement dans ses phobies et ses
fantasmes, ce film castré sur la castration, comme dirait lautre,
ressemble à un cauchemar cathartique duquel le spectateur sort avec une
impression deffraction dans les affaires privées de Doris W.

 

Quelques mots sur la réalisatrice :

 

Filmographie de Doris Wishman :

Nude on the Moon (1961)  
Diary of a Nudist (1961)
Blaze Starr Goes Nudist (1965),
Bad Girls Go To Hell (1965),
A Taste of Flesh (1967)
Deadly Weapons (1974)

Double Agent 73 (1974)
A Night To Dismember (1983)

 


« Nude on the moon » et « Deadly weapons »: deux films de Doris Wishman

 

Doris Wishman,
baptisée « The Queen of Sexploitation » a produit quantité de films
underground pour adultes qui sont aujourdhui considérés comme le
summum du kitsch et du mauvais goût : « A Night to dismember » met en
scène lactrice X Samantha Fox qui nest nullement la chanteuse, son homonyme.

 


Photo de Samantha Fox dans « Mystical Journey » (1979) (je n’ai pas pu trouver de photo de l’actrice dans « A Night to dismember »
)
 

 

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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