"Ciao Manhattan" : Edie sans Andy

John Palmer, David Weisman, 1972

 

A la Factory, Il y avait Viva, Ultra-Violet, Baby Jane Holzer, Ondine, Ingrid superstar, Cherry Vanilla, Candy Darling, Brigid Berlin, International Velvet, Joe Dallessandro, Gérard Malanga, Paul Morrissey, Billy Name, Lou Reed, Nico, et, soudain, un météore dont Andy Warhol va aussitôt s’enticher : Edie Sedgwick.
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Témoignage d’Isabelle Eberstadt, égérie française d’Andy Warhol connue sous le nom d’Ultra-Violet car ses vêtements, ses cheveux, son maquillage étaient violets… "J’ai cessé de fréquenter la Factory quand Edie y est arrivée ; Andy était aussi toqué d’elle qu’il puisse l’être pour une femme…"Témoignage de Baby Jane Holzer "L’ambiance à la Factory commençait à être angoissante… Il y avait de plus en plus de cinglés qui se camaient à tout de bras… Edie venait de débarquer, ravie de se trouver dans ce genre d’ambiance…"

Le premier film que tourna Edie avec Warhol fut "Vinyl"(mars 1965), un film avec des figurants SM et Gérard Malanga, pilier de la Factory, qui ne la vit pas arriver d’un bon oeil dans casting exclusiviment masculin, et tout comme Marilyn Monroe dans "Asphalt jungle", elle avait un petit rôle mais on ne remarqua qu’elle…

Témoignage d’Ondine : "Après avoir visionnée "Vinyl" deux ou trois fois, certains d’entre ont commencé à comprendre qu’Avec Edie venait d’entrer à la Factory, une force, une puisssance, que nous n’aurions même pas soupçonnée…"

Edie tourne ensuite plusieurs films avec Warhol en 1965 : "Bitch", "Kitchen", un film qui se passe dans une cuisine où tous les personnages portent le même nom, le tout ryhtmé par la porte du frigo et les reniflements d’Edie… Mais aussi "Poor little riche girl", "Beauty part II", "Lupe" (décembre 1965).

Carlotta Films

"Tu connaissais cette fille qui habitait en Californie… sa mère était folle…". Ainsi commence le film cultissime mettant en scène Eddie Sedgwick (Susan) jouant son propre rôle, elle mourra subitement trois mois après le tournage à 28 ans.

"En 70, une jeune héritière californienne rentrait chez elle après deux ans comme superstar underground à New York, après trois ans à l’hôpital."

Butch, un jeune homme en vadrouille en provenance du Texas, ramasse une fille en stop sur la route en veste de cuir ouverte sur sa poitrine nue, grâce à son adresse sur une plaque autour de son cou, il la ramène chez elle, quand il ouvre la portière, elle tombe comme un paquet sur la pelouse. Dans la maison, la mère de Susan, grosse dame à frisettes platine, outrageusement maquillée, téléphone à un Docteur Brown pour parler de sa fille et de mystérieux traitements…

Susan s’est installée sous une tente en toile près de la piscine, où elle vit vautrée, a moitié-nue, sous son portrait des années de staritude à New York, en incurgitant vodka on the pills. Elle raconte à Butch les années Edie Segdwik top model et superstar underground née à la factory sous l’égide d’Andy Warhol.

Le film alterne les images en couleur de la Californie 1970 avec Susan/Edie bouffie, détruite, hagarde, et les images en noir et blanc des jours de gloire d’Edie Segdwick. Ces derniers documents inserrés dans le film, sont, pour la plupart, des photos d’Edie top model parues dans des magazines comme "Vogue" ou "Life" et des extraits de films d’Andy Warhol faits à la factory par lui ou ses "disciples" tel Paul Morrissey* (c’est ce qu’on suppose), des scènes d’orgies fatiguées et défoncées où l’on reconnaît la faune warholienne : Viva, Brigid Berlin, Baby Jane Holzer et Paul America, dealer en amphétamines de l’hôtel America, le grand amour névrotique d’Edie. Dans des petits rôles, le réalisateur Roger Vadim (jouant un médecin peu convaincant), l’acteur français Christian Marquand, le poète Allen Ginsberg…
Susan/Edie en 1973, en Californie quelques mois avant sa mort, dans "Ciao Manhattan"

A Butch, Susan parle de son enfance, le Nembutal que lui donnait sa mère quand elle était en retard, ses frères qui la reluquaient, hormis son frère cadet suicidé quand elle avait douze ans, son père qui la harcelait sexuellement dès l’âge de huit ans et la tabassait quand il était ivre. "J’ai été accro au speed pendant huit mois à la factory et je suis passé à l’héroïne pour décrocher des amphét".

Dans la biographie de Stein, il raconte qu’Edie est arrivée pleine aux as à Manhattan mais que l’argent nécessaire pour payer ses drogues l’a mise rapidement sur la paille. Dans le film, elle se plaint "j’ai vendu ma Mercedes, mes robes de Balenciaga, de Chanel, mes bijoux…" Vers la fin, ayant perdu son appartement, Edie habitait au légendaire Chelsea hotel où elle mettait régulièrement le feu à sa chambre en n’éteignant pas ses cigarettes. On voit une séquence dans le film où Edie, fauchée, essaye de vendre de la cocaïne à Central Park pour payer l’avortement d’une copine.

Il y a une grande cruauté dans le principe de filmer Edie l’épave se souvenant d’Edie la magnifique "j’étais une star… j’étais The model, quand j’étais la fille de l’année à NY, j’avais fait de mon visage un masque…" Un masque qui ressemblait étrangement, ses cheveux courts argentés coupés courts, à celui qu portait Warhol ; Andy et Eddie qui s’amusaient à ce qu’on les confonde comme des jumeaux dans les soirées, bien que le film n’insiste pas sur les relations fusionelles entre les deux, se contentant de passer quelques clichés de Warhol. C’est la grande carence du film, cette absence du grand organisateur de la factory, ce lieu ouvert à tous les marginaux qui pouvaient faire les peintures de Warhol (la plupart du temps, il ne faisait que superviser), ou jouer dans ses films, participer à leur fabrication. Au lieu de ça, les séquences avec une sorte de caïd radoteur et ennuyeux, s’éternisent, le réalisateur David Weissman ayant convenu lui-même que la plupart des protagonistes absents, il fut obligé d’étoffer son rôle, son film dont il ne voyait pas le bout ayant été tourné sur environ cinq ans… Ainsi, Susan devait être interprêtée par Susan Bottomly (International Velvet pour la factory), 17 ans, à qui les parents refusèrent l’autorisation de tourner. On regrette aussi qu’on ne s’attarde pas plus sur les locataires mythiques de la factory mais il est possible qu’à l’époque du tournage du film, beaucoup avaient déjà disparu, quand on lit les mémoires d’Ultra-Violet, on est frappé par l’hécatombe des personnages passés à la factory…

Les réalisateurs John Palmer et David Weissman n’ont pas fait un film warholien bien qu’il y ait quelques moments qui rendent hommage à ses tableaux plus qu’à ses films. Il y a bien quelques passages pop, des vues de NY comme d’un avion faisant des loopings, un générique d’inspiration psychédélique très réussi, mais, dans l’ensemble, on est surpris par un procédé narratif et une façon de filmer assez classiques, on s’attendait à un objet plus farfelu.

Le film vaut principalement par son sujet : Edie Segdwick, personnage fascinant à la trajectoire de météore, était une sorte de Marilyn underground, même beauté époustouflante, même fragilité, même part d’enfance traumatique, même composition de personnage public, même mort tragique la conservant jeune pour toujours…

PLUS…

* trilogie de Paul Morrissey : "Flesh" (1968), "Trash" (1970), "Heat" (1972), avec Joe Dalessandro dans les trois films, dvd édtion Carlotta.

Livre de référence : "Edie" (1982) de Jean Stein, la biographie d’Edie Segwick sous la forme d’un collage de multe témoignages. Traduit en français chez Christian Bourgois éditeur (1987).

Il existe aussi le livre "Edie Segdwick, american girl" de Georges Plimpton mais il n’est pas, à ma connaissance, traduit en français.

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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