"Imitation of life" ("Mirage de la vie") et "Magnificent obsession" ("Le secret magnifique") : l'école du mélo

Douglas Sirk, 1959 et 1954, coffret DVD 2007
    

Jai vu hier soir deux films du coffret Douglas Sirk, présenté comme le coffret de lannée Sagissant de lédition regorgeant de bonus, y compris les premières versions du « Secret magnifique » et du « Mirage de la vie », on ne peut pas faire mieux, Carlotta, c’est vraiment la Rolls du DVD… Car ces deux oeuvres sont des remakes de deux films de John M. Stahl des années 30 : « Magnificent obsession » (« Le Secret magnifique ») (1935) avec Robert Taylor et Irene Dunne et « Imitation of life » (« Images de la vie ») (1934) avec Claudette Colbert. Personnellement, je ne connaissais de John M. Stahl que le superbe « Péché mortel » avec Gene Tierney réalisé plus tard (1945) en couleur
Sagissant des deux films de Sirk, « Le Secret magnifique » (1954) et « Mirage de la vie » (1959), je suis plus mitigée : les films de Sirk nétaient en rien des films appréciés des cinéphiles à leur sortie, bien au contraire, cétait un cinéma populaire, un cinéma des studios visant plutôt un public féminin avec des récits « à tirer les larmes ». Car ces deux films sont des mélo à la puissance Sirk. Avec une différence notable : « Le Secret magnifique » est aujourdhui très anachronique, avec cette incroyable pluie de catastrophes inondant les protagonistes tout le long du film, son moralisme réac et son interprétation surannée sagissant de Jane Wyman ou de Rock Hudson, séducteur plus viril quAdam, quon lançait à lépoque pour lopposer à des James Dean ou Marlon Brando trop ambigus au goût de la censure (lironie du sort voudra quil se révélera être homosexuel et que les studios seront obligés de le marier pour le cacher) En revanche, « Mirage de la vie », outre son casting nettement plus frais, y compris Lana Turner ramenée sur les écrans après le scandale Stompanato (sa fille de 14 ans venait dassassiner lamant de sa mère, un gangster du nom de Johnny Stompanato), aborde un thème brûlant pour lépoque et malheureusement toujours dactualité : le racisme dans lAmérique des années 50. Si il est possible de se laisser emmener par le crescendo de lémotion jusquau fameux final du « Mirage de la vie » (la scène des funérailles), il me semble aujourdhui improbable que le public soit touché par « Le Secret magnifique », avec ses accidents en série, ses personnages angéliques et désincarnés, son histoire damour asexuée, etc, à moins qu’il ne s’agisse d’un second degré, ce qu’infirment les témoignages dans les suppléments DVD… Après « Mirage de la vie », malgré son succès triomphal, Douglas Sirk qui aurait pu avoir carte blanche à Hollywood, choisira de retourner en Europe comme beaucoup de cinéastes allemands émigrés aux USA pendant la guerre… « Mirage de la vie » sera donc son dernier film américain.



« Imitation of life » (« Mirage de la vie ») (1959)


Deux mères de famille se rencontrent, deux jeunes veuves avec chacune une fillette, lune blonde et blanche, lautre brune et noire, Lora Meredith et Annie Johnson. Ces quatre-là ne se quitteront plus, Annie est à la rue, Lora tire le diable par la queue, la seconde héberge alors la première pour une nuit, elle y passera sa vie entière. Dentrée, le problème est posé, la petite fille dAnnie, Sarah Jane, ne veut pas être noire, dailleurs, elle a la peau blanche, dans une des premières scènes, elle jette à terre la poupée noire que lui a donnée Susie, la fille de Lora.
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Comme il y a deux famille monoparentales dans le film, il y a deux histoires, lascension de Lora/Lana Turner, qui va devenir une star de Broadway en négligeant sa fille Susie, et le calvaire dAnnie, sa fille Sarah Jane la reniant pour tenter déchapper à la ségrégation et se faire une place dans la communauté blanche. Dans la seconde partie du film, Sarah Jane (vraie héroïne du film) devenue jeune fille vole la vedette à Lora, dont le sort est réglé, dautant que lactrice Susan Kohner (ressemblant à Natalie Wood) interprétant Sarah Jane est assez étonnante, très brillante, très moderne (elle sera dailleurs nominée pour lOscar du second rôle). A la première partie, emplie autant de chagrins que despérances, succède la seconde partie nettement mélodramatique.

    

Si à lépoque de la sortie du film, le public était inconsolable devant le chagrin dAnnie Johnson sans chercher midi à 14 heures, aujourdhui, la psychologie aidant, on nuancera son jugement devant le comportement de Sarah Jane, rejetant sa mère venue lui faire une ultime visite avant de mourir (le public le sait mais pas sa fille), lui refusant même une chaise (la scène dans le motel vers la fin). Dune manière non dissimulée, Sirk intercale une scène à mi-film qui va être déterminante, apprenant que sa mère est noire, le petit ami de Sarah Jane la tabasse avec une violence inouïe dénotant avec le reste du film Fuyant sa mère et sa condition sociale dorigine, refusant dêtre noire, donc exclue dans lAmérique des années 50, Sarah Jayne, nassume pas, comme on dit dévorée par la honte et la culpabilité, elle ne soffre aucune chance réelle de sen sortir, aucun avenir que de chanter dans des bars louches où de danser dans des revues minables, comme si elle cherchait à expier sa faute dexister atypique, hybride ni blanche, ni noire
On a souvent dit de Sirk quil concoctait des mélos flamboyants, « Mirage de la vie » en est le prototype absolu, dun récit traité sobrement par Stahl, il fait un soap opéra, un mélo multicoloré et ultra-lacrymal. La fin du film avec léglise immense, la voix magnifique de la chanteuse de Gospel, léglise bondée damis dAnnie dont on ignorait lexistence et de tous les personnages du films depuis le début, la musique off et dehors la fanfare, le cercueil, les chevaux et, cerise sur le mélo, la fille Sarah Jane allant sécrouler en larmes sur le cercueil de sa mère, est un moment danthologie. Oui, on peut se laisser emporter par ce « Mirage de la vie » malgré les invraissemblances, les flamboyances, et ce ton emphatique très daté, question de sensibilité, curs secs sabstenir

« Magnificent obsession » (« Le Secret magnifique ») (1954)
 


Tandis que le play-boy Bob Merrick a un accident de hors-bord «bien mérité», coupable dexcès de vitesse, le chirurgien Dwayne Philips ne peut pas être sauvé dune crise cardiaque par la faute du premier accidenté : on a utilisé le réanimateur pour Bob Merrick Pendant tout le film, ce pauvre Bob Merrick va payer sa faute Et en commençant à payer la facture dune vie de débauche, il aggrave les choses Tombant immédiatement amoureux de la veuve de Philips, Helen, il tente de lui parler dans un taxi, elle séchappe et se fait renverser par une voiture, elle en perd la vue Bob Merrick va alors reprendre ses études de chirurgie pour soigner Helen tout en payant secrètement ses factures et son voyage en Europe pour consulter Pendant ce temps, sous un faux nom, Bob va se faire aimer d’Helen…
 


Ce qui qui est vraiment indigeste dans ce film, cest ce fond moraliste et religieux (le livre fut écrit par un pasteur) où on se rend compte d’abord que le chirurgien Philips était une sorte de saint qui reversait en secret son salaire à ses patients et laissera dailleurs sa veuve et sa fille sans le sou. Ensuite, un homme céleste, lui-même converti au bien par Dwayne Philips, va alors guider Bob Merrick sur le chemin de la rédemption par l’altruisme et en faire une sorte de double de Philips Dans cette surenchère de comportements admirables et de rachat des péchés par le dévouement et le renoncement, Helen, amoureuse de Bob, va refuser de l’épouser pour ne pas peser sur sa vie, mais il la retrouvera des années plus tard dans le coma, atteinte d’une pneumonie mortelle Parabole sur l’aveuglement et le recouvrement de la vue (au propre et au figuré) par l’abnégation altruiste, quel chemin de croix… mais en technicolor…
Dans le rôle dHelen Philips, la première épouse de Ronald Reagan, Jane Wyman, affligée dune frange au bol la privant de toute séduction, est aussi une piètre interprète incapable de transmettre une once démotion. Quant à Rock Hudson, agréable à regarder, il est là plus quil ne joue, posé sur lécran comme une belle statue. Pas une minute on ne croit à cette histoire damour pas plus quà cette pluie de malheurs et de bonnes actions rédemptrices asphyxiant littéralement le film. Un film qui vaut pour sa valeur documentaire comme part des uvres de Sirk considéré 50 ans plus tard comme un maître (Fassbinder, Todd Haynes, Ozon lauraient pris pour modèle).

PS. Même casting pour le film suivant « Tout ce que le ciel permet » dans le coffret DVD.

Coffret Douglas Sirk  Mélodrame/8 DVD éditions Carlotta avec :

« Mirage de la vie »
« Le Secret magnifique »
« Tout ce que le ciel permet »
« Le Temps d’aimer et de mourir »

 

Notre note

4 out of 5 stars (4 / 5) 2 out of 5 stars (2 / 5)

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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