« L’Autre » : attaque virale de la jalousie
focus film
Patrick M Bernard et Pierre Trividic, sortie 4 février 2009
Pitch
Après sa séparation d'avec son amant avec qui elle refuse de vivre en couple, une femme est dévastée par la jalousie quand elle apprend que ce dernier l'a remplacée par une autre.
D’après « L’Occupation », un roman d’Annie Ernaux, « L’Autre » tente de retranscrire la démarche de la romancière qui a connstruit une oeuvre semi-autobiographique, à la fois minimaliste et réaliste mais également très cérébrale tentant de retranscrire le voyage mental de ses héroïnes, elle, le plus souvent. Je ne suis en rien experte en romans d’Annie Ernaux mais ayant lu quelques uns de ses livres, je pense qu’elle a échappé à la lassitude des lecteurs vis vis de l’auto-fiction omniprésente dans les années 80/90 peut-être justement à cause de sa simplicité radicale ou plutôt de sa recherche de vérité.« L’Autre » est le récit d’un sentiment qui empoisonne le cerveau de l’héroïne, Anne-Marie, neo-quinquagénaire pimpante qui voulait vivre libre au sortir de 18 ans de mariage, l’analyse et l’observation de l’envahissement du cerveau d’Anne-Marie par le crescendo de la jalousie. Anne-Marie vient de quitter Alex, son amant, qui voulait fonder un foyer, pas elle, mais ils sont restés amis, ils se voient souvent. Soudain, la nouvelle qu’Alex a rencontré une autre femme la cloue au piloris. La première question que pose AM à Alex est quel âge a cette rivale? le moment de soulagement passé qu’elle a 47 ans comme elle, qu’il ne la pas remplacée par une femme plus jeune, voilà qu’AM se met soudaint à penser qu’Alex ne l’aimait pas spécifiquement pour elle puisqu’il aime toujours le même type de femmes….
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photo Ad Vitam
Les mécanismes de la montée en puissance de la jalousie n’ont rien de nouveau, Proust décrivait très bien le harcèlement de questions à la femme obsédante pour se rassurer, ce qui provoquait l’effet inverse, générait une autre question et ainsi de suite… Ainsi, Anne-Marie a toujours une question de plus sur sa rivale, ce qui la plonge ensuite dans des recherches délirantes pour retrouver l’identité de cette femme sur laquelle Alex a fini par lâcher une profession, elle est universitaire, un lieu, elle vivrait dans tel quartier, des habitudes alimentaires, elle souffrirait de la vésicule biliaire, des miettes jetées à un esprit devenu malade qui les malaxe et les ressasse tandis que le retour du désir pour Alex (pour le comportement d’Alex passé du statut d’homme rejeté à celui d’homme cruel se dérobant) va atteindre son sommet.
photo Ad Vitam
Ancrée dans la réalité quotidienne, AM est une femme en mouvement, beaucoup de scènes dans le train, le métro, assistante sociale, elle se rend au domicile des gens, voit des cas poignants comme cettte gardienne alcoolique qu’on va priver de son petit chien, sa seule compagnie, pour la faire désintoxiquer. Pourtant, la jalousie l’ayant frappée comme un virus, cette activité professionnelle ne lui est quasiment d’aucun secours, allant relancer un ancien amant, condamné par la maladie, Anne-Marie ne le revoit en réalité que pour s’épancher sur Alex et « l’autre »… Dans une société de surveillance, l’immeuble est équipé d’un détecteur électronique sophistiqué signalant tout déplacement suspect (trouvaille du film dans le sens de la marche), AM surveille Alex, l’épie au bas d’un immeuble, traque des femmes au téléphone qui pourraient correspondre au portrait bien mince de « l’autre ».
Je viens de voir sur CinéPolar « Les Passagers », terne polar de la fin des années 70 (1976) où Alex Moineau (JL Trintignant )va chercher dans un pensionnat près de Rome le fils de la femme, Nicole (Mireille Darc), qu’il vient d’épouser pour le ramener en voiture à Paris. Sur l’autoroute, Fabio (Bernard Fresson); un pilote d’avion, ancien amant de Nicole, hôtesse de l’air, les poursuit sans relâche dans une camionette pendant les trois jours de voyage. Déjà dans ce film, existe une tentative maladroite de faire figurer la jalousie comme un élément quasiment fantastique, un sentiment extérieur qui envahirait une victime plus qu’un bourreau (il vient pourtant de tuer deux policiers) : en conduisant, Fabio, le pilote, a des hallucinations, il voit (et le spectateur aussi) Nicole dans la voiture en train de lui parler, de lui dire qu’elle va revenir l’aimer, que tout va recommence comme avant entre eux, il la voit nue sur un lit le soir à l’hôtel, etc… Le film n’hésite pas à intégrer Mireille Darc en chair et en os dans le scènes de délire… Dans « L’Autre », la dimension fantastique de la jalousie est mentalisée, si l’on peut dire, grâce à la performance de Dominique Blanc, prix d’interprétation pour ce film en septembre à la Mostra de Venise, dont le corps et l’expression sont le théâtre de sentiments alternatifs, de souffrances et suspicions irrationnelles aux limites de la folie. De Dominique Blanc, actrice souvent confinée dans des rôles qui l’enlaidissent, les réalisateurs ont voulu montrer un autre visage, celui d’une femme hyperféminine, trop blondie (bouclée, laquée, sophistiquée), le fond de teint trop blanc, les ongles rouge carmin, les vêtements noirs moulants, pour marquer sa volonté d’être sexy à tout prix au delà de la barrière de l’âge dans une société anti-âge (même des yaourts et des dentifrices sont labelisés anti-âge) où il faut se battre pour rester une femme sur « le marché » de la séduction au delà de quarante ans.
photo Ad Vitam
Film ultra-intimiste, à la recherche d’un style dépouillé, en adéquation avec celui de l’auteur, mais aussi à la poursuite d’un challenge : tenter de mettre en images les dégâts visibles et invisibles de la jalousie, de représenter à l’écran les mécanismes mentaux, ce n’est pas facile… on s’en doute, très ambitieux et un peu fastidieux parfois, le film est inégal, demeure la superbe interprétation de Dominique Blanc.
Notre note
(3 / 5)
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