« La Prisonnière » : après « L’Enfer »en solo, l’enfer en duo…

Henri-Georges Clouzot, 1968

 


Après avoir vu les images retrouvées de « L’Enfer » l’autre jour, je suis allée visionner le DVD de « La Prisonnière », le dernier film de Clouzot qu’il tourne en 1968, quatre ans après son « Enfer » inabouti. La fin du film reprenant les essais de « L’Enfer » en partie m’a scotchée, c’est assez fascinant comme le réalisateur n’avait en fait pas renoncé à son projet qu’il utilise comme une sorte de bouquet final, les souvenirs et fantasmes d’une femme gravement accidentée, dans un semi-coma sur son lit d’hôpital. Tout le film semble construit pour amener cette fin, aidé par la mode des années 68 où dans la galerie d’art, on prise l’art cinétique d’un Vasarely, la sérialité d’un Warhol…
Le film se passe dans le milieu de l’art : le galleriste Stanislas Hassler a l’ambition de transformer une  oeuvre d’art en objet de consommation de masse en duplicant les objets (concept Warholien en caricaturé), idée de duplication que le réalisateur reprendra dans les images sériales de la mémoire du final du film. Lors du vernissage de l’expo d’avant-garde dans la galerie de Stanislas, on est plongé dans un univers d’hyperconsommation et du fameux « jouir sans entraves » de 68, vêtements aux couleurs criardes, oeuvres d’art fabriquées à la chaîne, idées farfelues/tout est art, moeurs libres/tout est permis.
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Un couple moderne, Gilbert, concepteur d’oeuvres d’art en série, Josée monteuse à la télé, avalant (consommant) des kilomètres de pellicule toute la journée, et le propriétaire d’une galerie branchée vendant des objets dans une sorte de supermarché de l’art. Un couple libre comme c’était dans l’air du temps de 1968, Gilbert va passer la nuit avec une critique d’art pour obtenir un bon papier sans le cacher à sa femme. En revanche, Josée, attirée par Stanislas, accepte d’aller prendre un verre chez lui sans s’en vanter auprès de Gilbert. Dans cet appartement voyant et prétentieux, à la fois moderne et baroque, Josée est attirée par du matériel photo, Stanilas lui propose de lui projeter des clichés austères de lettres d’écrivains. Comme par hasard, une photo d’une femme ligotée a été intégrée dans le lot, Stanislas fait mine de stopper la projection, Josée en redemande timidement… Plus tard, Stanislas accepte d’initier Josée en la faisant assister à une séance de photos érotiques
avec un modèle occasionnel rétribué (Dany Carrel qui faisait aussi partie du casting de « L’Enfer »), affolée par ses émotions, ses pulsions qu’elle ignorait, Josée s’échappe.
Relations dominant-dominé entre  le maniaque chic, coincé, pervers, impuissant, et la jeune femme libérée ou plutôt  se voulant en phase avec l’époque de libération sexuelle. Là où on est dans le surlignage lourd, c’est de mettre en miroir le travail de Josée à la télé, consistant à visionner sur un écran des extraits de témoignages complexes de femmes battues incapables de se séparer de leur bourreau, et sa relation SM avec  Stanislas. Et toujours le thème corollaire de savoir dans ce type de relation, lequel des deux est-il l’esclave de l’autre, le dominant ou le dominé? Les deux? Jeux dangereux, du jeu au drame, le film évolue du procès de la société de consommation pseudo-libertaire à une histoire d’amour tragique entre les deux joueurs dont on peu schématiser que Stanislas avait plus peur de l’amour que Josée de l’érotisme et des pratiques SM, que le plus sexuellement équivoque des deux n’en savait rien… Laurent Terzieff est magnifique dans un rôle de voyeur introverti au seuil de l’explosion, Elisabeth Wiener, discrètement opaque dans le rôle de cette jeune femme apparement banale qui préfère les sensations fortes à un amour conjugal confortable. La tentation de « normaliser » leur relation amoureuse, ce WE trop joyeux au bord de la mer interrompu par l’image insupportable du bonheur (la photo cachée à Stanislas), va signer la fin d’une relation amoureuse qui ne pouvait fonctionner autrement que dans les rapports d’assuétude, une protection comme une autre… Vaste sujet…On ne peut pas voir ce film de la même manière après avoir vu le documentaire sur « L’Enfer », dans « La Prisonnière », qui devait s’appeler « Le Mal », Clouzot concocte un enfer en petit modèle, en duo, sous le couvert pratique de s’intégrer dans l’humeur créative et permissive de la fin des années 60, ici, ce n’est pas la folie en solo d’un jaloux délirant mais une relation de passion folle à deux qui finit… pareillement mal… par les mêmes sortes images (même le thème du train est revenu…)Beaucoup d’acteurs connus passent dans la galerie… Joanna Shimkus, Claude Piéplu, Michel Piccoli, Pierre Richard, Charles Vanel… Dany Carrel (les deux femmes aux cheveux roux orange comme les robes orange de l’époque, les meubles…),

Bernard Fresson… A sa sortie, le film a été hué, Clouzot semblait avoir surfé sur l’air du temps, cassé son cinéma trop parfait au profit  d’élucubrations psychédéliques en vogue, quand il était précurseur, les images de « L’Enfer » tournées en 1964 le prouvent. Quant au sujet, ses thèmes de prédilection demeurent, l’amour et la mort, les rapports de force amoureux tournant à la folie, dans « La Vérité », Bardot a tué l’homme qu’elle aimait qui la rejetait, incomprise au procès, elle mettra fin à ses jours, dans « L’Enfer », l’hôtelier jaloux finira par tuer son épouse trop belle qu’il soupçonnait à tort d’infidélité, ici, Josée comme Stanilas n’ont trouvé d’autre issue que d’en finir, chacun de son côté, même si la fin est vaguement ouverte (mort ou renaissance?), ce que je ne crois pas.

30/09/09

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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