« Les Derniers jours du monde » : coup de foudre
Arnaud et Jean-Marie Larrieu, sortie 19 aout 2009
Si je n’avais pas lu ici et là des avis divergents, je n’aurais pas été piquée au vif d’aller me faire une idée, j’aurais passé mon tour.. Cette affiche racoleuse ne me disait rien, quant à la fin du monde, on vit ça tous les jours… Eh bien, c’est justement cela, entre autres choses, qui est exploité, ici, l’orchestre médiatique de fabrication des psychoses de tout et rien (que nous subissons au JT tous le jours) joue plus fort et de tous les instruments à la fois… Rien de bien neuf dans toutes ces catastrophes imminentes annoncées, redoutées, à commencer par les sirènes d’alerte dans Biarritz au début du film, les tableaux de pénurie (plus de papier pour écrire..), la pollution des sites, des plages, de l’océan, etc… La différence, c’est que tout arrive en même temps et personne n’est épargné, ce n’est plus le cyclone du bout du monde où on se félicite de ne pas y être parti en vacances ou l’épidémie de SIDA dont on se croit à l’abri au lit avec son vieux mari.Dans « Les Derniers jours du monde », conte philosophique sur les conséquences de l’annonce d’une mort imminente sur le comportement et la morale, une seule chose fait vraiment la différence avec notre condition habituelle de mortel : ici, on connait l’heure de sa mort, ça ne se compte plus en années genre ne pas fumer pour vivre plus vieux mais en jours, en heures, certains préférant d’ailleurs se suicider avant, faire semblant d’être sujet et pas objet. Auparavant, la première réaction à l’annonce de l’apocalypse (provoquée d’ailleurs par le massacre de l’environnement par l’homme), c’est l’amour, le sexe, la chair, un peu d’eros dans le thanatos, il serait temps d’y penser. La tentation et les possibles étaient déjà partout, ne manquait que le passage à l’acte généralisé, validé par une fin prochaine, la boite échangiste où travaillait Laetitia s’appelait « La Chambre d’amour », aujourd’hui remplacée par « L’Eclipse », le bar de Taïwan « Je t’aime », beaucoup plus loin.. Ainsi, Ombeline (Catherine Frot), libraire bourgeoise mariée au pharmacien du centre ville, veut être prise au jour devant la fenêtre parce qu’elle s’est cachée toute sa vie. Ainsi, Chloé (Karine Viard), l’ex-épouse de Robinson (Mathieu Amalric) n’a plus le temps de régler ses comptes et s’autorise à l’aimer, à pardonner.
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photo Wild bunch distribution
Le film opère un va et vient entre deux périodes, aujourd’hui, l’été, la plage déserte, sinistrée, et l’année dernière, le même lieu à la même époque, des vacances et une vie normales suspendues par un coup de foudre : Robinson/Mathieu Amalric seul à Biarritz, où on attend la fin du monde comme partout, ayant enfin trouvé la solution pour exorciser son amour tragique de l’année précédente pour une call-girl : l’écrire… Et les images de Robinson et Laetitia, celle pour qui il a tout quitté d’une minute à l’autre l’été d’avant, l’amour évidence, la relation idéale (on se donne rendez-vous au bout du monde), pour ne pas dire la rencontre avec l’idée de l’amour, le personnage de Laetitia étant assez fantomatique, abstrait et totalement androgyne. L’interprétation qui vient à l’esprit, corroborée par la fin du film, c’est que Robinson (le choix du prénom est éloquent) a déjà connu moralement la fin du monde le jour où il a perdu Laetitia, et c’est sur cette correspondance avec un monde qui s’écroule que jouent les réalisateurs. Ce qui explique sans doute qu’il sera le seul à résister, ne laissant que des cadavres sur son passage, la libraire, sa femme, le chanteur lyrique et sa fille, la plupart vont se tuer, pas lui, parce-qu’il est déjà mort? Pulvérisé l’année précédente avec la femme idéale, l’amour parfait, l’entente physique explosive au sens du terme l’ayant déjà expédié ailleurs?
photo Wild bunch distribution
Le crescendo est particulièrement réussi, soudain, l’échelle des valeurs morales n’existe plus que résiduellement, bien que dans un premier temps, on reste rivé aux biens de consommation, la voiture, les embouteillages, le téléphone mobile, chercher un train, un hôtel pour essayer d’échapper au massacre, chacun usant de ses privilèges de citoyen hypercivilisé, la femme de Robinson, membre du gouvernement, abuse des passe-droits, la libraire a l’habitude des grands hôtels, le ténor celui d’être célébré. Petit à petit, on casse les vitrines, on ne s’étonne plus de la dernière catastrophe, la survie a remplacé la vie, la recherche d’un dernier plaisir supplanté tout autre forme de morale jusqu’à échouer dans une partouze aristo où on boit des cocktails bleus comme la vieille France en attendant de descendre au sous-sol dans une parodie d’abris anti-atomique aux allures de charrettes pour la guillotine.
photo Wild bunch distribution
Un brin d’humour vient à point nommé quand tout s’écroule, humour noir de la libraire se suicidant dans une salle de concert et que les cris de son compagnon la découvrant vont empêcher le ténor de chanter, erreur dans le mot de passe pour entrer au château, le « bonne soirée, ma tante » indifférent du neveu aristo quand, apprenant la mort de sa fille, elle s’allonge sous un drap avec par dessus un crucifix (brève apparition de Sabine Azéma)…Superbement filmé et interprété, le scénario décapant, le film n’est pas aussi délirant qu’il l’affiche, au contraire, il serait plutôt hyperlucide (même pas prémonitoire…), l’adoption de la forme du conte étant la condition sine qua non pour faire passer autant de réflexions sur la relativité des valeurs, leur dévaluation immédiate lors de la prise de conscience forcée de l’éphémère de la condition humaine, le retour de l’instinct sauvage quand il n’est plus possible d’échapper à son destin de mortel, enfin, évoqué dans une moindre mesure, le message d’une fin du monde imputable à l’hyperconsommation. Un conte double!!! qui est lui même la métaphore de l’amour « coup de foudre », ambitieux et néanmoins parfaitement réussi…
Notre note
(5 / 5)
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