« Love letters » : la magie Delon intemporelle
Démarrant à l’adolescence pour finir avec la mort de l’un d’entre eux, leur correspondance a le ton, le style, la maturité de la date des lettres tandis que les comédiens modulent leur jeu en conséquence, redevenant des enfants, puis des adultes à toutes les étapes de leur existence. Il est maladroit, elle est chipie, il est pauvre, elle est riche, il est jaloux, elle le fait marcher gentiment. Tandis qu’elle accumule les mariages ratés, artiste vélléitaire, alcoolique mondaine, privée de ses enfants, à la dérive, à l’inverse, il poursuit une brillante ascension sociale, avocat, sénateur, notable, une épouse modèle, trois enfants. Petit à petit, les relations s’inversent, c’est elle, devenue suppliante, qui provoquera leur liaison tardive et éphémère, c’est lui qui y mettra fin, privilégiant ses ambitions, son sens du devoir. Alexa, l’enfant gâtée, dominait le gamin gauche, rechignant à écrire des lettres, préférant envoyer des dessins à Tom, moquant son goût immodéré pour la correspondance. La femme adulte blessée dépendra de l’emploi du temps d’un sénateur marié, son meilleur ami, même si tous les deux parcoureront le monde, comme en fuite, rarement synchrones, se croisant, se ratant la plupart du temps.
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La « Lola » de Demy face au « Samouraï » de Melville, l’affrontement de deux légendes du cinéma… Si le début est un peu stylisé (l’enfance étant, de toutes les périodes, la plus difficile à faire passer), à mi-parcours, on est embarqué, petit à petit, il n’y a plus que cet homme et cette femme, Tom et Alexa, deux êtres qui s’aiment au delà de la chair, soudés mentalement par une fusion amoureuse ancrées dans l’enfance, se nourrissant de l’absence de l’autre, un amour fou et innommé à distance qui remplace la réunion des corps par un trait d’union épistolaire à la vie à la mort.
Quand de manière subtile, au lendemain de leur première et tardive nuit ensemble, après tant d’années à se fuir, Tom/Alain Delon appelle enfin la femme de sa vie « mon amour », on est renversé, la voix de Delon qu’on connait bien pour l’avoir entendue, écoutée tant de films durant, cette voix métallique et animale à la fois, ici, un peu rauque, sauvage, apaisée à demi par l’aveu, c’est à tomber… Mais on n’a encore rien vu ni entendu si on n’a pas assisté à la sublime scène finale, on est alors submergé par l’émotion de cet homme inconsolable interprété par un acteur magistral qui transmet son inconsolabilité de manière instinctive, qui la vit comme on jurerait qu’il l’a vécue, simplicité de la douleur extrême de l’animal blessé à mort, du chagrin qu’on ne surmontera pas ; Delon vous arrache l’émotion au fond des tripes, quelle brutalité sobre dans le désespoir, quelle animalité pudique dans la douleur, quelle sensibilité meurtrie, quel miroir de plaies jamais refermées cet acteur vous renvoie… On sort de la pièce avec le fantôme de Romy Schneider planant sur son interprétation exceptionnelle et habitant le personnage d’Alexa, quand Tom part pour l’armée, on pense aux années d’Indochine de Delon qui l’ont marqué à jamais. Et aussi à tous ces rôles qu’il ne joue plus au cinéma, qu’il refuse ou qu’on ne sait plus lui proposer, comme ce « Professeur » de Zurlini brisé que je grille de revoir en DVD au sortir de la pièce, j’avais oublié que c’était lui et nul autre le meilleur acteur français, que les passions qu’il déchaînait ne devaient rien au hasard, de « Plein soleil » à « Monsieur Klein », de « Rocco et ses frère » à « Traitement de choc », ce soir Delon était intemporel, unique, à l’image de ses rôles gravés dans nos DVDthèques…
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[…] fan de ce film que je viens de revoir encore, la pièce de théâtre avec Delon l’autre jour « Love letters » m’ayant donné envie de retrouver ce portrait d’homme blessé au delà de […]