« Nuits d’ivresse printanière » : l’amour à mort

Prix du scénario au festival de Cannes 2009, Lou Ye, sortie 14 avril 2010

Pitch

A Nankin, la femme de Wang Ping le soupçonne d'infidélité et le fait suivre par un détective qui découvre qu'il a une liaison avec un homme, Jiang Chen. Ce dernier rompt avec son amant mais se jette à corps perdu dans une équipée amoureuse avec Luo Haito, le détective, et sa petite amie.

Prix du scénario à Cannes, ce film vient d’être présenté au 12° festival du film asiatique de Deauville, dans les deux cas, des festivaliers, choqués, sont sortis de la salle, la faute à de nombreuses scènes sexuellement explicites. Dans « Une Jeunesse chinoise », Lou Ye s’était attaqué à un sujet tabou pour la censure (les événements de la place

Tian’anmen) qui lui a valu cinq années d’interdiction de tourner en Chine. Pour « Nuits d’ivresse printanière », tourné de ce fait en partie dans la clandestinité, Lou Ye aborde un autre sujet encore tabou en Chine, l’homosexualité punie comme un délit par la loi chinoise il y a à peine quelques années.
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Au départ, à Nankin de nos jours, Wang Ping et Jiang Chen, deux amants, complices, qu’on découvre faisant étape sur la route dans un relais de campagne. Puis, on se rend compte que l’un d’eux,Wang Ping, est marié, mais, son épouse le soupçonnant d’infidélité, le fait suivre par un détective privé, Luo Haito. Quand le premier présente sa femme au second au restaurant, celle-ci a déjà vu les photos de l’adultère prise par le détective… Plus tard, la femme trompée va menacer Jiang Chen dans son bureau sous le nez de ses collègues. Ce dernier décide alors de rompre brutalement, laissant Wang Ping plonger dans le désespoir. Premier revirement de situation, Jiang Chen, que l’on voyait comme un amoureux transi, est soudain montré comme un séducteur cruel qui s’étourdit dans des boites de nuits en dansant toute la nuit avec des lunettes noires de play-boy quand il ne prend pas le micro dans un club gay travesti en femme. Pendant ce temps, le détective Luo Haito, subjugué par Jiang Chen, continue à le suivre sans raison apparente que la curiosité. Seconde victime du séducteur Jiang Chen, Luo Haito succombe… La petite amie de Luo Haito déprimée, les deux hommes l’emmènent avec eux pour folle équipée amoureuse, les nuits d’ivresse printanière, on aborde alors le volet qu’on a pu comparer à un « Jules et Jim » au masculin, le centre du désir demeurant Jiang Chen, le séducteur. Pourtant la solitude du séducteur n’est pas éludée, sa manière de s’étourdir pour faire impasse sur le chagrin, ses larmes quand il apprend la mort de son ancien amant, cette sensation qu’a le spectateur que cet homme est rodé aux désillusions, aguerri, mais sans doute le plus désespéré de tous, lucide sur la solitude  en couple au delà d’une certaine limite, inhérente à la condition d’être humain.Film désenchanté et erratique d’une (encore) jeunesse à la recherche d’une identité floue, fantômatique, plongeant dans l’addiction amoureuse avec son lot de mensonges, trahisons, jalousies, ruptures jusqu’à la mort. Les partenaires presque interchangeables, demeure l’obsession amoureuse pour pallier l’absence d’amour, l’ennui, les fêlures, les nuits d’ivresse répétitives faisant écran au vide d’une vie perçue comme une somme sans fin d’illusions perdues. Les scènes sexuelles et intimes, bien que le réalisateur en ait supprimé certaines, se multiplient au point que quelques scènes de groupes superbement filmées dans la vitesse, le mouvement (la boite de nuit, par exemple) se trouvent en minorité, donnant un film avec un déséquilibre de proportions vie privée/vie publique ; il aurait mieux valu, soit jouer la carte du tout intimiste, soit  veiller au partage équitable entre les scènes intimes et les scènes de groupes (où le réalisateur semble très doué aussi). Cependant, là où Lou Ye tape fort, c’est en prenant son temps pour les scènes d’étreintes, filmées longuement, frontalement, presque en temps réel, et c’est sans doute cela qui peut mettre mal à l’aise le spectateur (et pas le fait qu’il s’agisse d’un couple hétéro ou homo), cette manière de le prendre à témoin pour l’amener dans une intimité qu’il n’a pas suscitée, de le transformer en voyeur malgré lui qui préfèrerait sans doute, pudique, gêné, non averti, qu’on lui résume la situation en deux ou trois images. Ces quelques restrictions mises à part, le réalisateur ose un cinéma du réel, quitte à transgresser les interdits, qu’il s’agisse des manifestations de Tian’anmen dans « Une Jeunesse chinoise » ou de la désespérance de l’immédiate après-jeunesse vivant l’amour à mort façon roulette russe dans « Nuits d’ivresse printanière ».


 

Le titre du film est emprunté à un livre de Yu Dafu, écrivain chinois moderne, « Enivrantes soirées de printemps » (1923), qui traitait d’une histoire différente (la déchéance matérielle d’un jeune intellectuel à Shangaï ne sortant que la nuit). Mais, dans le film, les deux amants lisent des passages du livre. L’écrivain Yu Dafu avait par ailleurs fait scandale à ses débuts avec « Nuit sans fin » (1922) traitant de l’homosexualité et du masochisme.

 

 

Notre note

4 out of 5 stars (4 / 5)

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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