« On the road » (« Sur la route »), un grand film mal aimé à sa sortie…

focus film Walter Salles, sortie 23 mai 2012

Pitch

Après la mort de son père, grâce à Carlo Marx, le poète, Sal Paradise, apprenti écrivain, rencontre l'incandescent Dean Moriarty marié à la très jeune Marylou. Ensemble, ils vont prendre la route et expérimenter toutes les sensations fortes.

En compétition à Cannes, ce grand film n’a pas plu. Je l’ai revu dernièrement, une ado disait en sortant qu’elle était déçue… Pourquoi ce désamour pour un film, d’après un livre trop culte, une adaptation dont chacun se faisait sans doute une idée préalable? Peut-être les spectateurs attendaient-ils un « Into the wild » bis avec leçon de vie, lutte contre la société de consommation, amour des grands espaces sauvages, défense de l’environnent en filigrane et des images familialement correctes pour clore la scène finale… La Beat generation n’avait rien à voir avec tout ça, leur route était hédoniste, pas héroïque, identitaire et amorale, fuite amphétaminée pour échapper à l’angoisse de la mort. Sur la route de Kerouac, on se brûlait (« Burn, burn, burn ») avec sex, drug and jazz (pas encore rock’n roll, ce seront les hippies ensuite dont les deux poètes Beat présents dans le film, Ginsberg, Burroughs, sauront prendre le train en marche, devenant leurs icônes). Le film démarre en voix off par la première phrase du livre « j’ai rencontré Dean Moriarty peu après la mort de mon père »…
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photo MK2

De la route brûlante et ocre où marche Sal Paradise, dont on ne voit pas encore le visage, quittant le Montana, disant cette phrase clé malgré son appararente banalité, « Je ne serai jamais chez moi », on revient à l’enterrement de son père 5 mois plus tôt : terne cérémonie que les obsèques de Leo Paradise, on évoque le jeune frère mort de Jack Kerouac/Sal Paradise… Un frère trop tôt disparu qui avait quelque chose du futur neal Cassady/Dean Moriarty?
Jack Kerouac/Sal Paradise va rester en tête à tête avec sa mère  « Ma » (dite « Mémère ») avec qui il passera d’ailleurs la fin de sa vie.New York 1947. C’est donc après la mort de son père que

Jack Kerouac/Sal Paradise rencontre Neal Cassady/Dean Moriarty qu’on découvre nu (sortant du lit de Marylou, son épouse de 16 ans), ouvrant la porte de son appartement de Harlem à Jack/Sal et Carlo Marx/Allen Ginsberg. Ginsberg était amoureux fou de Neal Cassady. Kerouac était fasciné par Neal Cassady. La vedette, la lumière, le carburant de la route, du livre, du film, c’est lui, celui qui n’écrit pas mais vit et brûle… Sans Neal Cassady/Dean Moriarty, Jack Kerouac/Sal Paradise aurait-il pu écrire « Sur la route »? (un projet qu’il avait pourtant depuis longtemps)Le processus de création littéraire vampirisant l’entourage est très bien décrit : Neal/Dean supppliera Jack/Sal de lui apprendre à écrire, et quand « Sur la route » paraîtra, il sera déçu de n’y apparaître que sensuel, incontrôlable, etc… Ginsberg s’est inspiré de Neal Cassady et Jack Kerouac dans ses premiers écrits, Kerouac a retranscris dans « Sur la route » leur épopée fusionnelle. La fin du film, très touchante, montre le rouleau de papier qu’avait utilisé Kerouac pour son manuscrit, soudain, il s’assied et il revit mentalement la route avec Neal Cassady/Dean Moriarty, et il écrit comme on roule, à toute vitesse… La légende veut que Kerouac ait mis trois semaines à boucler son livre sous Benzédrine (écrit en 1951, en fait, le livre, expurgé, ne paraîtra qu’en 1957). Dans « On the road », Sal est déjà le narrateur, Dean l’acteur principal… Dans la vie, Neal Cassady sera le seul à aller « jusqu’au bout », mort à 42 ans sur une voie ferrée en 1968… Jack Kerouac ne prendra pas le train hippie, devenu réac, alcoolique, ombrageux, il retournera dans le Montana, épousera une amie d’enfance afin de s’occuper ensemble de « Mémère ». Mais le film s’arrête avant, peu après à la dernière et triste rencontre de Sal et Dean, il est occupé avec des amis, habillé comme un bourgeois, l’autre, en tenue négligée (le terme « beat » au départ voulait dire sale, voire crade), s’en veut de l’avoir abandonné malade au Mexique en 1950 lors de leur dernière virée…


photo MK2

On sent que Walter Salles est ultra-documenté sur la Beat generation qu’il n’idéalise ni n’angélise : Sal et Dean ont des attaches familiales lacunaires, douloureuses, Sal vient d’enterrer son père,
aperçu dans un tripot, Dean cherche le sien dans Denver, clochard fantôme qu’il ne retrouvera pas. « Sur la route » est une quête identitaire passant par la recherche de sensations fortes à retranscrire pour la plupart. Dans le film, on rencontre William Burroughs/Old Bull Lee (Viggo Mortensen), futur auteur du « Festin nu », plus âgé, habitée d’une folie froide, junkie (il tuera sa femme accidentellement en jouant, défoncé, à Guillaume Tell) ; un des comparses (Al Hinkle/Ed Dunkel) a abandonné chez les Burroughs sa femme (Helen/Galatea interprétée par Elisabeth Moss) qu’il a épousée par commodité… Carolyn Cassady/Camille (Kirsten Dunst), seconde épouse de Neal/Dean dont il aura trois enfants, n’empêchera pas qu’il poursuive sa liaison avec Marylou dont il a divorcé.

Le film montre très bien l’indiscible des relations homosexuelles latentes entre tous ces hommes pour lesquelles les femmes ne sont que secondaires mais servent à l’occasion de vecteur.
Marylou, la première épouse, que Dean n’accepte de partager qu’avec Sal, dans le film, c’est à la demande insistante de Dean que Sal couche avec Marylou mais il est déçu d’être chassé de la chambre… Carolyn Cassady a publié ses passionnantes mémoires (« Sur ma route ») où elle parle des relations entre tous les protagonistes, et au passage, d’elle et Kerouac avec qui elle avait eu une liaison aussi. Dans le numéro spécial MK2 « Sur la route », Carolyn Cassady dit que Jack Kerouac était beau comme un dieu… Ce que ne montre pas exactement le choix de Sam Riley (Sal), pourtant parfait, par ailleurs. Quand à la « bombe » Garrett Hedlund (Dean), il est torride! (qui ne le suivrait pas enfer?) 


photo MK2

Malgré ses qualités cinématographiques de mise en scène, d’images, d’interprétation, peut-être est-ce un film pour ceux qui aiment la passerelle avec la littérature. Le livre de chevet de Kerouac, Cassady et Ginsberg est « La Recherche » de Proust ; à 21 ans, Ginsberg s’écrie qu’à 23 ans il écrira un grand poème (« Howl ») ; Neal/Dean demande à Jack/Sal (devant sa machine à écrire) « tu dois m’apprendre à écrire ». Le film est parsemé de petites références à la littérature qui transcendent pas mal de choses.
Longtemps après le film, on est hanté par Neal Cassady comme les écrivains de l’histoire. Dans le film, Ginsberg dit à moment donné qu’il va écrire « une ode à Dean » et c’est ce que fait très bien Walter Salles qui montre bien à quel point chez cet ange solaire déchu sa force est aussi sa faiblesse, il se consumera dans un présent perpétuel sans laisser de traces et ses compagnons de route se nourriront de son incandescence avec des mots pour l’écrire.

« Vivre ou écrire, il faut choisir » (Angelo Rinaldi)


Jack Kerouac et Neal Cassady

 

Notre note

5 out of 5 stars (5 / 5)

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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