Peppermint frappé : l'obscur objet de la photo
Un terne radiologue de ville, notable fortuné et solitaire, vieux garçon maniaque sans une once de fantaisie, voit sa vie réveillée par le retour d’un vieil ami d’enfance avec qui il a partagé son éveil à l’adolescence et un certain nombres de souvenirs troubles… Quittant son cabinet médical où tout est impeccablement rangé, sa sombre maison bourgeoise surchargée de meubles anciens et de bibelots, il prend sa voiture… Sauf qu’avant le début du film, le générique très pop nous donne pas mal de clés : une main d’homme découpe dans des magazines de mode (un peu les « Vogue » de l’époque) des images de mannequins (on ne disait pas top model mais on reconnaît le mannequin Twiggie, dite la brindille, bien avant Kate Moss…). En gros plan, les morceaux des photos regardées, découpées, les bouches carminées de deux femmes, les faux-cils des tops models (ressemblant à Jean Shrimpton dite la Shrimp), les jambes et les escarpins…Julian, le médecin, va donc retrouver Pablo, l’homme d’affaires, l’ami d’enfance, son double en vivant, entreprenant, séduisant. Pablo est marié, il l’ignorait, à une femme beaucoup plus jeune que lui, Elena, blonde très décolorée
à épaisse frange platine, trop maquillée, trop belle, lui apparaissant descendant un escalier vêtue de blanc, collants blancs, souliers blancs, un fantôme Julian, tétanisé, voit d’abord les jambes blanches, puis le corps et le visage d’Elena sur l’escalier comme une apparition. Très vite, une image se superpose : Elena jouant du tambour à une fête du vendredi dans un village espagnol nommé Calenda… Très vite, Julian affirme à Elena qu’ils se sont rencontrés à cette fête… La jeune femme, coquette, futile, vaguement perverse, dément mollement, s’amuse d’avoir fait perdre la tête à Julian, le tactiturne… Tandis qu’il l’accompagne chez le coiffeur, Elena oublie son sac à main, Julian se hasarde à fouiller dans ce sac rouge et y trouve une paire de faux cils avec un tube de colle…Emoustillé par sa passion stérile pour Elena, poussé par Pablo à fréquenter une femme, Julian s’aperçoit qu’Ana, l’assistante de son cabinet de radiologie, frêle brune à la timidité maladive, à qui il n’a pas adressé deux mots en deux ans qu’elle travaille pour lui, a de jolies jambes… Il entreprend de la relooker… Ana et Julian sont parfaitement assortis, aussi ternes et coincés l’un que l’autre, débordant de fantasmes refoulés, se posant en négatif de l’image solaire du couple extraverti formé par Elena et Pablo qui dansent et parlent et aiment la fête, boivent du Peppermint frappé. A noter l’utilisation simple des couleurs, dans la vie lugubre de Julian, il y a quelquefois du rouge, les carreaux de sa salle de bains (couleur sang, une horreur), la lumière de son labo photo, la moquette de sa sinistrissime maison de campagne et à présent la carrosserie de la voiture décapotable nommée désir de Pablo. Or, le Peppermint frappé, boisson à laquelle Pablo et Elena ont converti Julian, est vert foncé, le vert étant la couleur complémentaire du rouge, mais aussi une couleur de philtre empoisonné de sorcière dans les contes de fées…
Dédié à Bunuel, le film met en scène un homme âgé antiséduisant (type Fernando Rey) qui prend soin de lui en cachette, fait du régime, de l’exercice sur son rameur tous les matins, met la farouche Anna en garde de ne pas devenir trop grosse à partir de 30 ans… Un homme voyeur (la photo) et fétichiste obsédé de visions érotiques (en noir et blanc), la femme au tambour, les faux-cils, les perruques, le rouge à lèvre (le faux sur le vrai)… La scène où Julian, prenant le prétexte d’exhorter Ana à rester en forme, lui fait couler un bain (qu’il conseille chaud puis froid) dans son hideuse salle de bains carrelée de rouge couleur de meurtre, après l’avoir forcée à s’épuiser sur son rameur installé au pied de son lit, est terrifiante… Transformée peu à peu en sosie dElena (démarrant avec la pose des faux-cils), Ana va prendre sa placeThriller quasi-parodique, à dessein sans grand suspense, dautant plus pervers/ludique que le réalisateur nous immerge ainsi dans la logique insensée des personnages, nous faisant anticiper avec eux létape suivante, le spectateur est plongé dans les fantasmes et les pensées tordues, voire morbides, du héros, à la fois victime et assassin, mais qui, au fait, est la victime de qui dans cette histoire A conseiller vivement pour les amateurs du cinéma de la fin des sixties, un Bunuel revisité manière pop avec plein de références de l’époque (tableau d’Antonio Saura, le frère du réalisateur, photo des « Demoiselles de Rochefort, etc…), de couleurs violentes, d’audaces, de mode sixties (Elena en mini-robe à rayures dans le salon de coiffure, les bandeaux dans les cheveux à la Bardot, etc…), d’une musique obsédante, un must
trailer
Notre note
(4 / 5)
Laisser un commentaire