« Revolutionary Road » (« Les Noces rebelles ») : portrait acide d’une Madame Bovary US
Sam Mendes, sortie 21 janvier 2009
Pitch
Un couple se déchire dans l'Amérique des années 50 : elle veut un destin exceptionnel pour eux deux, ne supportant pas le quotidien de sa banlieue huppée, il tente de concilier raison et passion.
Je suis assez étonnée par les pitches ou critiques que j’ai lu sur ce film qui le présentent comme l’histoire d’un couple qui se déchire car il refuse de renoncer à ses rêves, s’étant juré de ne pas rentrer dans le rang de la middle class consumériste de l’Amérique des années 50. On a bien dit un couple. Or, ce que j’en ai vu, c’est une femme blonde en robe noire sexy dans un bar, April, qui jette son dévolu sur Frank, un homme qui lui plait surtout parce qu’elle l’investit aussitôt de toutes les potentialités. Pour avoir frimé lors de leur première rencontre (scène essentielle et trop rapide au tout début du film…), Frank va se retrouver élu par April pour partager ses rêves et la réalisation de ses fantasmes à elle dont elle décide qu’ils sont les leurs : ils sont promis à un destin exceptionnel, elle et lui… A noter qu’April est une actrice ratée, seconde scène du film, presque aussi importante que la première, son désir de destin hors du commun ne date pas d’hier… Malentendu tragique dès le départ… Amoureux d’April, Frank, chagriné de suivre les traces du terne parcours professionnel de son père, agent commercial dans la même entreprise que lui aujourd’hui, ne dirait pas non à une meilleure destinée… A reculons pourtant, il se laisse convaincre de tout quitter pour habiter Paris : son travail, la maison blanche des banlieues huppées, son pays, l’Amérique… pour vivre d’amour et d’eau fraîche ou presque, April travaillerait comme secrétaire à l’ONU et lui chercherait sa vocation (il a 30 ans)… Franck a beau objecter qu’il ne se connaît aucun talent particulier, April est persuadée qu’il les possède tous, qu’il lui suffira de « se chercher » dans la paix parisienne pour « se trouver ».
photo Dreamworks pictures
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Le destin de Franck qu’April imagine paré de tous les dons au point d’emmener toute sa famille sans le sou à Paris (ils ont deux enfants) fait souvent penser au sort du Docteur Bovary qu’Emma, son épouse, persuade d’opérer le pied bot de l’apprenti du pharmacien pour transformer son terne médecin de mari en star de la chirurgie (comme on sait, l’opération du malheureux s’avèrera une catastrophe)… Sauvé, si l’on peut dire, par une offre d’emploi qu’il doit au hasard, Frank aimerait accepter cet emploi rémunérateur dont il espère que ça arrangerait les choses avec April sauf que les fantasmes d’April ne sont pas matériels mais intangibles (à la différence de Madame Bovary, poursuivie par les créanciers, ce qui précipitera son suicide à la fin du récit, mais que l’argent n’aurait pas plus satisfaite que tout le reste, ses désirs de grand bal et d’amants n’étant que les aperçus trompeurs d’un paradis inacessible n’existant que dans son imaginaire…). Un événement va précipiter les choses, April attend un troisième enfant, la scène où elle l’avoue à Frank est très dure, le couple en parle comme d’un cancer à éliminer, April craint que la naissance d’un enfant n’entrave la marche pour l’évasion à Paris… Pourtant, April a attendu 10 semaines pour reconnaître sa grossesse, se privant par là de la possibilité d’avortement sans danger… Un personnage d’aliéné, fils de la propriétaire de l’agence de location de la maison, universitaire démoli par les dépressions nerveuses et leurs traitements barbares aux électrochocs, dit tout haut de ce que tout le monde n’ose pas penser tout bas, faisant office de psy… Par exemple, que Frank a été conduit à faire cet enfant à sa femme pour récupérer un peu de sa virilité… Ce personnage de « fou » est en fait le plus proche d’April, partageant son horreur de la réalité, sa soif d’absolu et d’exception, son rejet de la normalité synonyme de médiocrité…
photo Dreamworks pictures
Le film n’est pas tant un procès du cauchemar climatisé américain des années 50, comme l’a si bien décrit un Nicholas Ray, par exemple, qu’un terrible portrait de femme Bovaryste à la limite de la folie (la fin du film n’est pas non plus sans parenté avec ce roman universel), entraînant avec elle un partenaire, une famille dans un inéluctable drame, femme fatale au sens premier du mot. La reconstitution des banlieues blanches et vertes, trop clean, trop lisses, où les desperate housewives s’apportent des assiettes de gâteaux ou des boutures en pot, n’est que le décor, fort bien planté d’ailleurs. Le personnage de Frank, soumis au conflit entre raison -le bon sens d’accepter une promotion professionnelle inespérée, bercé de l’illusion que ça peut encore s’arranger « normalement » avec April- et passion destructrice partagée – l’embarquement insensé pour l’Europe avec leurs enfants- est un spectacle poignant. La place des deux enfants surnuméraires, qui n’ont pas leur place dans les rêves d’April, est glaçante, on les emmènerait à Paris comme les cartons qu’on prépare.
photo Dreamworks pictures
Les deux acteurs sont brillants, convaincants, on a lu partout que Kate Winslet (Golden globe pour ce rôle) était meilleure que Leo Di Caprio dans le film mais je ne le crois pas, c’est son rôle d’être « ailleurs », névrosée, insatisfaite chronique et destructrice malgré elle, son rôle à lui d’être cet homme un peu lâche, immature, dragueur au bureau mais foncièrement sincère et normal, pris au piège d’un mariage qui se transforme rapidement en liaison fatale, voire létale. A signaler tout de même la performance de Kate Winslet dans la très belle scène où April se jette sur le mari d’un couple ami intime du sien, la manière prédatrice dont elle invite cet homme (amoureux d’elle, lui aussi) à danser est incandescente…
Un film beaucoup plus noir que ne le laisse paraître son emballage, beaucoup plus pervers, désespéré et cruel qu’une histoire de couple partageant les mêmes rêves et surmontant ou pas une crise (ce que laisse entendre la promo), avec cependant un travers qui personnellement m’a génée : malgré une galerie de personnages secondaires fort bien traités, la focalisation sur le couple entraîne la multiplication des scènes bavardes et surtout des scènes de dispute entre les deux acteurs stars, des scènes nombreuses qui donnent parfois un ton trop théâtral au film d’autant qu’on est (presque) dans l’unité de lieu : cette maison blanche honnie sur Revolutionary road (le titre anglais du film).
Notre note
(4 / 5)
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