"Shadow of a doubt" ("L'Ombre d'un doute") : sous le charme du tueur…

Alfred Hitchcock, 1943
 

Cétait le film préféré dHitchcock, cest sans doute un de ses films les plus fascinants, lantichambre de « Psychose » Personnellement, javais raté ce chef duvre, quelle chance de découvrir cette merveilleDeux Charlie rêvent rêvent allongés sur leurs lits. Cauchemar éveillé de loncle Charlie à New York quand sa logeuse lui annonce que deux hommes le recherchent, mais, sur le point daccepter son destin, il finit par senfuir. Rêve dun autre destin de la jeune Charlie à Santa Rosa, petite ville américaine où il ne se passe jamais rien. Partie pour la poste appeler son oncle Charlie au secours, la jeune Charlie apprend quil vient dannoncer son arrivée chez eux. La famille Newton est le prototype du foyer middle classe américain des années 40 : le père employé de banque, la mère, épouse accomplie, trois enfants presque parfaits. Ce qui est frappant à Santa Rosa, cest que tout le monde connaît tout le monde, comme autrefois dans les villes de province, le policier au carrefour, la bibliothécaire, le directeur de la banque, tout le monde appelle Charlie par son prénom.

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Larrivée de loncle Charlie provoque une liesse incontrôlée chez les femmes : sa sur, épouse modèle, se souvient de leur enfance, un domaine privé dont les deux parlent à mots couverts, ce qui crée une ambiance de secret. A mi-film, la mère finira par livrer une clé : loncle Charlie a changé du jour au lendemain après un terrible accident survenu dans leur enfance, son vélo ayant heurté un tramway Touchante innocence, crédulité absolue, non pas de la fille mais de la mère, la sur de Charlie On nen saura pas plus sinon lessentiel, déjà le tropisme dH pour la psychanalyse, tout se passe dans lenfance et loncle Charlie a des excuses Car H aime son héros, il me met en valeur, rarement dans un thriller, on nest à ce point du côté du méchant, souhaitant presque quil se débarrasse de la gêneuse quest devenue sa nièce Charlie


Mais revenons au récit. Charlie, la nièce, comprend rapidement que loncle Charlie cache quelque chose, surtout quand il arrache des pages du journal du jour, le premier indice étant la distribution à la famille de cadeaux beaucoup trop somptueux : une montre pour son beau-frère et une émeraude pour sa nièce qui remarque immédiatement des initiales, gravés à lintérieur de la bague, qui ne sont pas les siens. Le second indice est cet air quà Charlie dans la tête qui nest dautre que «La Veuve joyeuse» et que loncle Charlie prétend être «Le Beau Danube bleu». Quand deux policiers en civil arrivent en ville, ils cherchent un assassin de riches veuves dans tout le pays pour lequel ils ont deux suspects possibles : loncle Charlie et un autre homme. La problème, cest que la police ne possède pas de photo de lassassin. Déguisés en agents de recensement, les policiers infiltrent la maison des Newton. Mais loncle Charlie refuse dêtre pris en photo, il réclame la pellicule de lappareil photo du policier. Seule une photo de lui enfant est en possession de sa sur quelle la donnée à sa fille. Une photo de lui avant son accident denfance, avant la naissance dune personnalité monstrueuse, réactionnelle
 


Si Charlie, la nièce, entretenait avec loncle Charlie des relations passionnées, presque amoureuses, ambiguïté entretenue par loncle qui ne rate pas une occasion de létreindre, lui passant la bague au doigt, par exemple, quand il offre lémeraude, lui envoyant des robes de New York, cette adoration inconditionnelle va être tuée net par la révélation dun des deux policiers de leur supiscion sur son oncle :  faisant la relation entre le tueur des veuves recherché par la police et larticle du journal déchiré, à présent, l’oie blanche Charlie ne peut plus nier la réalité. La répulsion a fait place à lattraction et Charlie na plus quune idée en tête, que son oncle quitte leur maison et la ville, nosant pas le dénoncer pour ne pas bouleverser sa mère. Car loncle Charlie, dans sa folie, a sous-estimé lhorreur que ses crimes pouvaient inspirer à sa nièce, alors, il va commettre une erreur, à moins quil ne recherche limpossible, sa complicité, son approbation : loncle ne va pas nier quand la jeune fille linterroge, pire, il va lui demander de laide, et cet aveu va le condamner à être obligé de la tuer, elle, sa meilleure part. Car, au fond, loncle Charlie ne doute pas du silence de sa nièce, cest son regard sur lui quil ne supporte plus. La mécanique se grippe, Charlie, la nièce, glisse dans lescalier, manque de sasphyxier dans le garage
Non seulement, le Charlie bicéphale, représentant le bien et le mal, a disparu avec la révélation du policier mais le policier est tombé amoureux de la jeune fille qui, elle, quitte ses oripeaux de jeune fille virginale et rêveuse pour devenir une femme lucide. Hitchcock met les point sur les i depuis le départ : les deux héros portent le même prénom : Charlie, la nièce, représentant la part de lumière de loncle Charlie, enfoui dans un sombre dessein déliminer ces femmes grasses et vieilles qui sempiffrent avec largent de leur mari mort, les veuves joyeuses (au passage, les crimes de l’oncle Charlie sont ceux d’un psychopathe se considérant plus comme une sorte de justicier de la morale que comme un gigolo prédateur dépouillant et tuant ses proies). Le réalisateur marque caricaturalement la différence entre les deux hommes quaime Charlie (Teresa Wright), son oncle (superbe Joseph Cotten), charismatique, machiavélique, séducteur, dont les gros plans sur le visage accusent les changements brutaux de physionomie, Docteur Jekyll ou Mr Hyde, et le policier, lamoureux niais, qui déclare sa flamme platoniquement dans le garage.

La fin, tour de force, est un faux happy-end, loncle et la nièce se retrouvent fiévreusement enlacés sur le marche-pied dun train, suspendus dans le vide, dernier instant de passion avant la mort Le fameux postulat dHitchcock na jamais trouvé de meilleur exemple : filmer les scènes de crimes comme des scènes damour. Tout est rentré dans lordre, socialement parlant, la petite ville peut prendre sa vie aseptisée où il ne se passe rien.

 

Notre note

5 out of 5 stars (5 / 5)

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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