« Sleeping beauty » : de « Belle de jour » à belle endormie

Pitch

Une jeune étudiante répond à une annonce pour réjoindre un réseau de prostitution où elle accepte de jouer la vierge endormie avec des hommes âgés, le lendemain de ces nuits tarifiées, elle ne souvient de rien mais tout a pu arriver.

Premier film présenté en compétition jeudi, je ne l’ai vu qu’hier dimanche en reprise, ce qui va être le lot de ce 64° festival de Cannes en essayant cette année de privilégier les films aux marches et autres événements du jour, l’accréditation du marché de film me permettant d’avoir accès à plusieurs séances de rattrapage…

 

« Sleeping beauty » de Julia Leigh 

Supervisé par Jane Campion, seule femme Palme d’or, « Sleeping beauty » est le premier long-métrage de la romancière australienne Julia Leigh. Le film se présente comme un conte érotique triste, parfois désespéré, où une jeune fille, Lucy, vivotant de petits boulots le jour, habitant chez une soeur et un beau-frère hostiles, se prostituant déjà plus ou moins dans des boites de luxe la nuit, rejoint un réseau de prostitution un peu particulier sous la houlette d’une certaine Clara qui vend les services de jeunes fausses vierges endormies à des hommes riches vieillissants impuissants.

Rebaptisée Sarah par Clara, la jeune fille, que tout dans la vie semble laisser de marbre, dans une sorte d’acceptation agressive de ce qui arrive, mélange de dureté et de passivité, accepte les missions dans une maison isolée. Une chose, une personne émeut Clara, un ami toxicomane condamné qu’elle va voir régulièrement, le seul être humain avec qui elle accepte l’émotion, qu’elle accompagnera jusqu’au bout.

Si la première partie du film montre une Lucy plutôt victime, faisant le ménage dans un restaurant, des photocopies dans un bureau, la seconde partie du film est consacrée à la prostitution de Lucy/Sarah endormie, à la fois puissante et passive, amnésique au matin de ce qu’on a pu lui faire la nuit. Rituel immuable avec Clara qui prépare la tisane soporifique avec son petit balai à thé, Sarah qui la rejoint en peignoir de velours mauve et boit le thé fatal, Sarah endormie dans un grand lit qu’on présente dans un halo blanc, la peau blanche, comme dans un rêve, que rejoint dans « la chambre » un homme différent à chaque fois. Un homme vieux, trop bronzé, encore musclé sous la peau ridée, un autre… Tous ces hommes ont déjà été vus ensemble dans une scène prélalable d’orgie blanche où une troupe de serveuses assez spéciales en tenues genre SM noires fait le service à table, Lucy/Sarah en blanc versant le vin. Et déjà dans cette scène, les personnalités se sont dessinées qui vont se révéler dans « la chambre » plus tard, cet homme chauve qui fait tomber Lucy/Sarah par plaisir. Cet homme élégant qui parle de son épouse défunte Elisabeth.

 


Le problème avec ce genre de film, c’est le mélange d’un certain réalisme moderne dans la caractérisation du personnage de Lucy et du choix de montrer également les choses sous l’angle d’un conte où tout serait rêvé, ressenti, fantasmé, jamais vrai, jamais faux, entre réalité et imaginaire. Il semble que la réalisatrice, d’une part, fasse référence à sa jeunesse où elle vivait avec l’idée de la mort, avec des amis toxicomanes qui se sont suicidé, d’autre part, la romancière, littéraire, se réclame d’écrivains comme Bataille.
Emily Browning, qui avait refusé le rôle de Bella dans « Twilight », a été vue récemment au cinéma dans « Sucker punch ». C’est une Lucy livide perverse, peau diaphane, cheveux blond vénitien, regard de pierre dure, colère contenue dans un hypercontrôle devenu indifférence apparente à tout, subissant ou plutôt choisissant de subir (contre de l’argent et un plus érotique mystérieux) dans le cadre du réseau des « sleeping beauties » puisqu’il faut de toute façon supporter son statut de victime dans la société.

Un conte sexuel tendance Bunuel (Lucy, la nouvelle Sévérine? Que fait-on à Lucy la nuit? On pense à la scène de « Belle de jour » dans la maison close de Madame Anaïs avec le japonais que tout le monde craint sauf Séverine qui accepte le « jeu » contenu dans une boite qu’il transporte avec lui, on ne sait pas quel jeu, ce que contient cette boite, ensuite, la femme de chambre la plaint de supporter tout ça et elle lui répond « qu’est-ce que tu en sais? »). Un conte sexuel désincarné, très littéraire, où rien n’est montré, tout est suggéré, où on passe du silence au très long monologue d’un homme brisé. Mais un conte pour dire quoi hormis le portrait de Lucy si intéressant soit-il? Le récit en soi ne va nulle part, le film reste creux, bien que troublant, succession de scènes peintes comme des « tableaux », volontairement sans approche psychologique pour conserver le mystère qu’on voudrait abyssal du personnage Lucy, bien réalisé, comme un écrin pour un personnage unique.

 


photo ARP Sélection

 

clés :
sous-titre du film :
« Ce que les hommes lui font la nuit, elle ne s’en souvient pas quand le jour se lève »…
dans une interview de Julia Leigh à Télérama :
de Lucy, elle dit « … elle-même est possédée par une forme de provocation perverse à légard du monde. Mais jusquoù est-elle prête à aller ?

 

Mots clés: , ,

Partager l'article

Lire aussi

Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

Laisser un commentaire

Votre email ne sera pas publié. Remplissez les champs obligatoires (required):

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Back to Top