« The Red riding trilogy »/ »1974″/ »1980″/ »1983 » : serial killer suite

Julian Jarrold, James Marsh, Anand Tucker, sortie 11 novembre 2009, sortie DVD 16 mars 2010



Cette trilogie est tirée d’une quadralogie de l’auteur de romans policiers David Peace « The Red riding »/ »Le Quatuor du Yorkshire ».  Pour réduire les coûts, la production est passé de quatre à trois volets : 1974, 1980 et 1983 (1977 a été supprimé). Le principe a été de choisir un réalisateur différent pour chaque film réalisé dans des formats différents et des acteurs passant d’une époque à l’autre, leur rôle pouvant s’étoffer ou s’amincir… A chaque époque, correspond un arrière-plan politique précis dans l’Angleterre de Margaret Thatcher en relation indirecte avec les crimes…  Compte tenu de la qualité de l’ensemble, ce devrait être un film-événement, un triptyque cinéma rare qui va combler les cinéphiles et/ou amateurs de polars noirs .

« 1974 » de Julian Jarrold

 


photo MC4 distibution/C comme Cinéma

Un jeune journaliste ambitieux, à la recherche de la notoriété, s’intéresse à la disparition de fillettes dans le Yorkshire. Le film débute par l’image cotonneuse, dans un épais brouillard, d’un cadavre de petite fille allongé dans l’herbe sur le ventre avec une sorte de paquet de fourrure blanche sur le dos. Plus tard, l’autopsie révèle torture, viol et strangulation mais le plus surprenant est qu’on a cousu à vif des ailes de cygne dans le dos de la fillette et tracé des lettres à vif dans sa chair. Emboitant le pas de Barry, un collègue qui ne va pas tarder à être tué, Eddie Dunford fait la connaissance de la mère d’une des fillettes disparues, la séduisante Paula, avec qui il a une liaison. Tandis que le rédacteur en chef du Yorkshire Post tente de retirer l’affaire à Eddie, après la mort de Barry, un jeune prostitué roux, lié avec le défunt on ne sait pas bien comment, lui remet de sa part des archives compromettantes sur les notables de la ville. Intervient alors l’incendie criminel d’un campement de gitans qu’on présente invariablement comme un tableau vivant figé, accablé, dans une fumée blanche. Eddie Dunford se rend compte que ce terrain est convoité par un promoteur immobilier, John Dawson, prototype du type arrogant, puissant et corrompu dont l’épouse passe une partie de son temps dans des cliniques psychiatriques.
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Corruption de la police, moeurs dévoyées des notables, journalistes souvent à la solde du pouvoir, Eddie va tenter de se frayer un chemin dans le fog masquant toute cette boue du Yorkshire. Paula, dont la fillette a été assassinée, couche avec le promoteur Dawson « depuis toujours » qui lui prodigue quelques largesses. Le rédacteur en chef lui-même fréquente les soirées privées du promoteur. Parti pour se faire un nom dans la presse en marchant sur les pieds de ses collègues, égoïste préférant un scoop à l’enterrement de son père, Eddie bascule en étant confronté à la douloureuse réalité : l’incendie du campement gitan, l’arrestation injuste d’un homme attardé mental, Paula dont il tombe amoureux tout en se prenant de compassion pour elle, mesurant la douleur d’une mère devant la chambre vide de sa fille (le crime et son impact sur les vivants). Mais Edie, anti-héros sans pouvoir véritable, alors qu’il aurait pu être facilement un pourri respecté, va devenir un piètre justicier qu’on va rouer de coups et torturer pour lui apprendre à se mêler de ses affaires…

 


photo MC4 distibution/C comme Cinéma


On pense immédiatement à « The « Offence »*** de Sydney Lumet pour l’ambiance brumeuse, glauque, parano, les meurtres des fillettes par un serial killer, les notables à double vie, le ton absolument 70 : beau travail de reconstitution des seventies souvent obtenu par le dépouillement du décor par rapport à aujourd’hui mais avec quelques touches d’époque : le costume acheté à Carnaby St, la musique de Barry White, les vestes et les chemises étriquées, les coiffures chevelues (mais pas trop en province) avec les pattes, les minijupes dans la vie quotidienne, les voitures, la pauvreté de la déco des maisons avec leur tapisserie beige triste à motifs et leur couvre-lit marron, l’absence d’ordinateur, de portable, d’internet, etc… (la consultation des archives, par ex, dans le sous-sol du journal, sur un appareil antique). La manière de filmer est également très 70 : photo granuleuse, salie, emploi fréquent du zoom, image jaunie, atmosphères surexposées, voilées, déformées par un effet brouillard. Hormis une fin de film un peu laborieuse, très violente mais un poil tâtonnante dans la résolution de l’intrigue et dans l’évolution du personnage principal, le volet 1974 est une réussite.

*** « The Offence » de Sidney Lumet avec Sean Connery vient d’être édité en DVD chez Wild side vidéo.

« 1980 »  de James Marsh

 

   
photo MC4 distibution/C comme Cinéma

 

Pour le second volet, ce n’est plus un journaliste comme dans « 1974 » mais un policier extérieur à la police locale endossant le manteau d’enquêteur dans le Yorkshire à la recherche de Jack l’éventreur qui s’attaquait en général aux prostituées. Départ du film avec la rue, les trottoirs, les avis de recherche de Jack l’éventreur et sa photo placardée sur les murs, très vite, on découvre le cadavre d’une prostituée allongée sur le ventre, le tout filmé comme un reportage télé. Ensuite, le film prend une toute autre dimension très oppressante en forçant sur la lenteur du rythme proche du temps réel et en s’appuyant sur de très nombreux gros plans des visages, le spectateur est alors immergé au coeur de l’enquête, comme prisonnier de ce qu’il voit, et ce que va découvrir Hunter n’est pas beau à voir, c’est même de pire en pire.


Peter Hunter est dépêché dans le Yorkshire pour débrouiller l’enquête qui patine depuis des années sur les 13 meurtres attribués à Jack l’éventreur. Un retour pour Hunter, qui, cinq ans auparavant avait dû interrompre une enquête sur une effroyable tuerie dans un bar louche où deux flics furent blessés à mort par sa faute. Hunter revient donc dans le Yorkshire détesté par la police locale avec une réputation détestable de vertueux se mêlant de ce qui ne le regarde pas. L’administration centrale lui ayant permis de choisir ses coéquipiers, Hunter a désigné deux policiers dont Hélène Marshall, une femme avec qui il a eu une liaison secrète autrefois, ce qui le fragilise d’entrée d’autant que son épouse légitime extrêmement fragile le harcèle par téléphone. 12 meurtres + 1 qui ne colle pas, une femme échappant au profil des victimes de Jack l’éventreur, BJ, un prostitué très jeune vendant la mèche (comme dans « 1974 ») que cette femme, son amie, a été tuée pour d’autres raisons… « 1977 », la seule partie du livre qui n’a pas été adaptée, est néanmoins au centre du film, ce sont les dossiers 1977 que va potasser Helen, c’est aussi le numéro de la chambre d’hôtel de Peter Hunter et l’année du jubilé de la reine d’Angleterre fertile en crimes de Jack l’éventreur.



photo MC4 distibution/C comme Cinéma

On va très loin ici dans la corruption de la police, seul Hunter est intègre tout en s’enfonçant dans un marécage de mensonges, vices et assassinats passés ou présents : entouré d’animosité, de haine, de rancunes, de menaces, petit à petit, Hunter, l’homme, s’affaisse, se fissure, occupant de moins en moins souvent le centre de l’écran. Tous les protagonistes ont des têtes d’assassins en puissance (dans la veine que l’assassin a la tête de tout le monde…), jusqu’à la figure d’un pasteur gourou qui réconforte Elisabeth Hall, la veuve d’un flic ripou, et même Hélène, la coéquipière qui n’a jamais pu faire le deuil de son sa love story avec Hunter et réciproquement. Difficile de faire plus noir, aucun espoir dans ce Yorkshire rouge et noir où la plupart des policiers ont craqué ou craquent en traquant depuis des années Jack l’éventreur, au début du film, un haut fonctionnaire de police du Yorkshire est mis sur la touche pour avoir déclaré à la télé qu’il comprenait les sentiments du tueur! « 1980 », au style intemporel non daté, est peut-être le volet plus fort car elliptique, oppressant par ce qu’il ne montre pas mais qu’on lit sur les visages hébétés par l’angoisse.


« 1984 » de Anand Tucker


photo MC4 distibution/C comme Cinéma

 

 

Le réalisateur numéro 3 a la tâche ingrate de conclure et de montrer une sorte de rachat relatif, de finir sur une semi-justice. Contrairement aux deux volets précédents avec un enquêteur intègre, le journaliste pour « 1974 », le flic venant de l’extérieur pour « 1980 », ici, c’est la culpabilité qui va amener à la vérité, l’enquêteur prend alors le visage de deux personnages aux prises avec leur conscience, un flic ripou et un avocat déglingué. La plupart des protagonistes sont les mêmes qu’en 1980 et 1974 avec un éclairage différent, le dessous des cartes qu’on a pas montré dans « 1980 » (couvrant aussi la période de 1977 ,volet pas adapté du roman), la police corrompue du Yorkshire au complet du temps de sa main-mise sur le proxénétisme et autres affaires juteuses. Le surintendant Maurice Jobson et son ignoble subordonné, le chef de la police débarqué au début de « 1980 », le surintendant en chef. On fera référence à l’enquête du journaliste de « 1974 », on reverra le promoteur John Dawson et sa maison en forme de cygne. Présent dans les trois volets, BJ, le jeune prostitué gay, celui qui donne l’indice clé au journaliste Eddie Dunford dans « 1974 », puis, au flic Peter Hunter dans « 1980 », lui-même victime de viols dès son enfance, qu’on retrouve à sa sortie de prison dans « 1983 »…

 

Après un détour par Jack l’éventreur dans « 1980 », on est revenu aux meurtres sadiques pédophiles, une quatrième fillette a disparu, on se souvient des trois autres dont Clare, la première retrouvée assassinée dans « 1974 »… Comme précédemment, une seule femme représentant un peu de lumière dans la vie accablée de l’enquêteur, ici, c’est Mandy Wymer, une medium qui entend les souffrances des fillettes dans l’au-delà en faisant tourner les tables. On retrouve Michaël Myshskin, handicapé mental torturé par la police dans « 1980 » pour avouer les crimes des fillettes qu’il n’a pas commis et un nouvel arrivant de retour dans la cité minière de Fitzwilliam après la mort de sa mère : l’avocat John Piggott, un loser alcoolique qui accepte de voir Michaël en prison à la demande de son ancienne voisine.

 


photo MC4 distibution/C comme Cinéma


Parti pris de montrer plus que dans les deux précédents volets, montrer la petite fille sur le chemin de la maison sur le point d’être enlevée, montrer le cadavre de la fillette retrouvée en 1974 avec des ailes de cygne cousues dans la chair, montrer les tortures des policiers véreux pour faire avouer un innocent, montrer le saccage du campement gitan… Le volet 3 est plus réaliste, moins glauque question ambiance, moins film noir à l’image mais nettement plus cru question violence. Si le volet 1974 faisait vraiment penser à « The Offence » de Sydney Lumet, le volet « 1980 » s’y rattachant encore, dans « 1983 », on a radicalement tourné le dos à Lumet, c’est plus moderne, démonstratif, explicatif, le style moins affirmé, plus faible, beaucoup de scènes à la lumière du jour, quelques effets plus modernes, un film contemporain.

Lire aussi un article très intéressant sur la comparaison entre le livre en quatre volumes et l’adaptation en trois parties qui pourraient dérouter les lecteurs de David Peace…

New!!! existe en coffret DVD Studio Canal : sortie le 16 mars 2010.

 


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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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