"The Tarnished angels" ("La Ronde de l'aube") : héros déchus

focus film Douglas Sirk, 1957, sortie DVD 5 novembre 2008

Pitch

Pendant le carnaval de La Nouvelle Orléans dans les années 30, un as de l'aviation de la première guerre mondiale tente de regagner ses galons et ses rêves lors d'un spectacle d'acrobatie aérienne suicidaire.

LaVerne (Dorothy Malone), l’épouse du pilote de chasse Roger Schumann (Robert Stack), reconverti en aviateur professionnel participant à des spectacles d’acrobatie aérienne pour survivre modestement, attire tous les hommes sauf son mari qui n’a qu’un amour : l’aviation. Pour en être, la belle LaVerne exécute un numéro de saut en parachute plutôt glamour où le vent soulève sa robe et exhibe ses jambes parfaites. Fauchés à la veille du show par la faute du fidèle Jiggs, leur mécanicien, qui s’est acheté une fois dans sa vie une paire de bottes, Roger Schumann, sa femme LaVerne, son fils et Jiggs, sont recueillis par le journaliste Burke Devlin (Rock Hudson)

qui couvre l’événement. Pendant que Schumann et Jiggs font plus ou moins semblant de dormir, la séduisante LaVerne, lasse de sillonner le pays sans le sou en tremblant pour la vie de l’homme qu’elle aime, raconte l’histoire de son mariage à Burke. Elle a aimé cet homme avant de le connaître, une affiche de pilote de chasse sur la porte de sa ferme natale dans l’Iowa, elle l’a suivi, ensuite, Schumann l’a épousé sur un coup de dés…
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Dorothy Malone et Robert Stack, photo éditions Carlotta

Lors du premier spectacle, l’avion de Schumann est démoli mais il survit, ce qui n’est pas le cas de son rival, un jeune homme dont on verra le cerceuil embarquer pendant les préparatifs du second spectacle. Parce que drogué à l’aviation, Schumann s’est mis en tête de voler avec un avion qui appartient à un homme qu’il déteste , sponsor de son rival de la veille, un avion bon pour la casse, par dessus le marché… Schumann supplie alors ses deux inséparables : il exige du mécanicien Jiggs de réparer l’avion et demande à son épouse LaVerne d’aller séduire son propriétaire à l’hôtel (alors que c’est justement parce qu’il avait dragué sa femme autrefois qu’il lui en veut, le désir irrépressible de l’avion l’amène à la prostituer). Choqué, Burke y va à sa place pour négocier le prêt de l’avion, tombé amoureux de LaVerne pendant la nuit de confidence, leur seul baiser interrompu par un masque de tête de mort porté par un fêtard. La mort plane sur le film de bout en bout, le carnaval en toile de fond, cette foire jour et nuit avec tours de manège, cris et beuveries en interférence, en rajoutant pour créer une ambiance lugubre et entêtante. Lors des spectacles aériens, la foule prédatrice se précipite sur la piste quand il y a une catastrophe, allant jusqu’à empêcher l’aviateur de se poser et d’être sauvé (Schumann plonge dans le lac pour éviter la foule)… 
C’est un film étonnant, un mélo noir comme l’encre, tourné en noir et blanc, pavé de sentiments désespérés, de faux espoirs, voire de sentiments illusoires, et d’illusions perdues. Après la mort de son mari, Laverne Schumann rejette Burke parce qu’avant de mourir, Schumann vient de réaliser son rêve de jeune fille :  son pilote idéal, son icône de l’affiche, lui a dit pour la première et la dernière fois de sa vie qu’il l’aimait avant de décoller et de s’écraser, ce qu’elle doit, mais elle l’ignore, au sermon qu’à fait Burke à Schumann la veille. Le fidèle Jiggs, le seul à avoir essayé de ne pas réparer l’avion pour empêcher son ami de se tuer, est laissé sur la touche, abandonné comme une vieille carlingue, lui aussi est amoureux de Laverne mais sans doute aussi (et plus encore) de Schumann… La scène du crash de l’avion de Schumann, en simultané avec les images de son fils coincé dans un avion jouet dans un manège, est plus noire, sans espoir de rédemption (même dans la mort) et désabusée qu’on aurait pu l’imaginer : non seulement, ce parallèle diminue les prouesses du pilote devenu un acteur de foire tournant autour d’un pylône tel son fils dans son manège effrayant mais dérisoire, mais encore le spectacle de l’enfant au spectacle de la chute de son père est assez flippant.Avec cette galerie de personnages désenchantés, déchus, où même le plus clean (le journaliste Burke) est alcoolique, Sirk laisse faiblement croire à un demi-happy end, réconfortant un tantinet le spectateur, quand Burke ramène LaVerne dans le droit chemin et dans un avion de ligne pour rentrer chez elle, se reverront-ils? On peine à le croire… Dans les nombreux suppléments du DVD, l’analyse de la comparaison du film avec le livre « Pylône » de Faulkner est assez passionnante : Faulkner, écrivain et scénariste pour Hollywood, avait notamment travaillé avec Hawks et Bill Krohn (correspondant des « Cahiers du cinéma » dans « Le Cercle infernal », supplément 3) fait habilement remarquer que dans

« Only angels have wings » (« Seuls les anges ont des ailes ») (1939), Hawks traitait de l’avion et de l’héroïsme, contrairement à Sirk avec « Pylône » où les personnages sont des héros déchus, à la recherche de rêves impossibles, qu’il qualifie même de personnages pervers : l’amour masochiste de Jiggs pour LaVerne, l’avilissement de LaVerne, la paternité ambigue du petit garçon, etc… Par ailleurs, Madeleine Chabrol (supplément 2) : parle de la défaulknerisation du livre pour en faire un film Hollywoodien, ce qui complète l’avis de Krohn vu de la rive littérature : dans le livre, son seulement le journaliste était maigre et vieux (remplacé par le superbe Rock Hudson dans le film) mais il y avait un vrai ménage à trois avec un pilote, un parachutiste assez féminisé (remplacé par Jiggs le mécanicien dans le film) et une femme androgyne (Dorothy Malone sensualisée à l’extrême dans le film).
 
Si Dorothy Malone, malgré son allure de top model, n’est pas une aussi grande actrice que Barbara Stanwyck (dans les deux films précédents « All I desire » et « Demain est un autre jour »), le duo des acteurs est choc et hot : Rock Hudson dans un rôle de journaliste alcoolique, déglingué, bavard, n’a jamais été aussi juste et le meilleur pour la fin : Robert Stack, aussi sexy que Marlon Brando dans le « Tramway »!!!, en débardeur blanc sale, dégoulinant de sueur et de cambouis, le regard de braise, quel régal!

  
Coffret mélodrame 2 Douglas Sirk (4 films*), éditions Carlotta. Sortie le 5 novembre 2008.
(le films existe aussi seul en double DVD collector).
(* « All I desire », « Demain est un autre jour », « Les Amants de Salzbourg », « La Ronde de l’aube »)
 

DVD « La Ronde de l’aube » (1957) avec 5 suppléments : entretien Bourget et Berthomieu, Faulkner et Sirk (le film est tiré de « Pylône » de Faulkner), « le Cercle infernal » (Bill Krohn, sa rencontre avec Sirk), « Parlons du spectacle » (témoignage de l’acteur du film William Schallert), « Jouer pour Douglas Sirk » (documentaire de 1980).
 

Notre note

4 out of 5 stars (4 / 5)

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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