Thrillers 2011, part.1 : « Les Anonymes », « Le Léopard », « Meurtres pour rédemption »

Malgré l’investissement de temps au cinéma, la lecture demeure avec notamment une bonne dose de thrillers… Ici, que du bon dont un livre d’exception « Meurtres pour rédemption ». Je passe sur un Harlan Coben, « Rupture de contrat », tellement mal écrit avec un langage souvent trivial voulant « faire moderne », pavé de descriptions plates « pour meubler » qui avait pourtant une intrigue intéressante, car je préfère parler d’écrivains vrais qui se sont désormais emparé du thriller, du polar, traitant le genre comme de la littérature à part entière. 

      


« Les Anonymes » de JD Ellory
Après avoir frappé fort avec « Seul le silence », Ellory a écrit « Vendetta » que je n’ai pas lu, puis, ce troisième livre sorti cette année « Les Anonymes ». Visiblement, ce brillant auteur de thrillers nouvelle manière aime changer radicalement d’univers. Ici, on a affaire à ce qu’on pourrait appeler un thriller politique, ambitieux, trop sans doute, mêlant l’histoire individuelle d’un homme et le récit des exactions de la CIA, en prenant comme exemple la guerre civile au Nicaragua, les années 80 et Bush.
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Le livre alterne deux parties pour les fusionner vers le dernier tiers, d’une part, l’enquête de l’inspecteur Miller, d’autre part le journal d’un anonyme qui remue ses regrets. Une femme est dévouverte morte sans son appartement avec de multiples contusions, une étiquette nouée autour de son poignet, une odeur de lavande. Il s’agit du cadavre de Catherine Sheridan qui a été assassinée selon le même protocole que trois autres femmes précédemment, les quatres victimes n’ayant apparemment aucun point commun entre elles que d’habiter seules. Miller et son coéquipier vont enquêter sur « le tueur au ruban » sans aucune piste. En creusant un peu le CV des victimes, Miller se rend compte que ces femmes n’existent pas pour l’état civil, tous leurs papiers d’identification renvoient à des comptes bidon. Le journal de l’anonyme parle de son enfance tragique, son père menuisier, sa mère mourrante, de sa rencontre avec la femme de sa vie.

Il n’y a pas vraiment d’intrigue choc dans ce thriller mais des quantités de sous-intrigues, le livre est d’ailleurs autant un drame humain, un procès des hommes politiques qu’un thriller. Le style fluide, on s’attache aux personnages tout en trouvant le temps un peu long. Comme il se dégage une mélancolie vénéneuse de ces pages, le lecteur finit par accepter de s’enliser avec Miller, flic amer, accusé à tort  du meurtre d’un proxénète, obsédé par la vision du corps de Catherine Sheridan, avec John, mystérieux professeur de littérature, dans leurs remords, leurs regrets, leur douloureuse quête de vérité, leur dépression invalidante qui les empêche de vivre autrement qu’en se forçant à faire les choses. « Les Anonymes » n’a pas la force de « Seul, le silence » mais Ellory possède l’essentiel : le style, la construction si particulière en spirale de ses livres, la noirceur  diffuse des grands écrivains américains.


« Le Léopard » de Joe Nesbo


Harry Hole est visiblement une vieille connaissance pour les lecteurs de Joe Nesbo, ancien musicien et nouveau king du polar norvégien. Mais dans « Le Léopard », le célèbre inspecteur Harry Hole est fatigué, démoli de l’intérieur, du genre à ne pas faire long feu dans les romans suivants, ce dont se  sert habilement l’écrivain. On débusque le héros à la dérive en Asie où il a fui après l’affaire du « Bonhomme de neige » qui a disloqué sa famille ; devenu toxico, SDF, Hole se noie tranquillement dans les méandres de Hong Kong.
On retrouve plusieurs femmes assassinées à Oslo de manière ignoble, une boule de métal à lames tranchantes ayant provoqué une hémorragie buccale, puis générale. Des femmes d’origine sociale différente, l’une est députée, l’autre prostituée, etc… Incapable de trouver le moindre indice sur le serial killer responsable de ces meurtres, la brigade criminelle envoie chercher Harry Hole pour lui demander de reprendre du service. A ces fins, on dépêche

à Hong Kong la belle Kaja Solness, lieutenant de police, pour le convaincre. Harry accepte de revenir à Oslo pour une seule raison : son père, avec qui il ne s’entendait pas, est agonisant dans une clinique, il serait temps de faire connaissance.Le livre énorme (presque 800 pages), bien écrit, prend son temps. Il y a l’enquête sur le serial killer, les retrouvailles entre Harry et son père, le souvenir traumatisant de son enquête sur « Le Bonhomme de neige », sorte de Hannibal Lecter, qui lui a fait quitter la police, ayant perdu sa femme et son fils. Et puis, en parallèle, le récit joue d’une guerre des polices pas très palpitante pour le lecteur où la brigade criminelle se dispute l’enquête avec une autre antenne de la police, la Kripos, dirigée par le cruel et ambitieux Mickael Bellman, amant de Kaja. Il y aussi une histoire d’amour très classique entre Harry et Kaja. En insert, quelques textes des pensées du serial killer par ci par là, sans grande conviction. Le livre est tellement dilué qu’on ne retrouve l’intêret que vers la fin quand l’auteur se souvient de reserrer le récit sur la traque du serial killer et offre un rebondissement tardif. Les quelques voyages à Hong Kong, au Congo, au Rwanda, distraient plus qu’ils ne servent l’intrigue, le livre étant finalement plus un portrait d’Harry Hole, flic désabusé, cassé, étoile déchue, qu’un thriller haletant…


« Meurtres pour rédemption » de Karine Giébel

C’est un livre très spécial, assez exceptionnel, qui raconte le cheminement intérieur d’une jeune fille de 20 ans condamnée à perpétuité pour un meutre crapuleux. Le lecteur est immédiatement en empathie avec le personnage de Marianne dont il lui semble qu’elle parle à la première personne tant l’écriture plonge dans son intimité, son cerveau, ses pulsions incontrôlables, sa culpabilité.

Marianne prend toute la place, dans sa tête, dans le livre ; enfermée dans une centrale, où elle a été transférée après avoir tué une gardienne dans le précédent établissement pénitentiaire, elle bénéficie d’un régime spécial : seule dans une cellule, menottée, une heure de promenade isolée, privée de travailler pour gagner un peu d’argent pour cantiner quelques biens de consommation, nourriture, cigarettes. Cette absence d’autonomie la conduit à accepter le marché du chef de section, Daniel, à qui elle se vend en échange de tabac et de drogue. Une relation violente qui va évoluer vers une relation amoureuse. Mais l’auteur ne laisse aucun répit au lecteur. Des bagarres, des règlements de compte entre taulardes, des mises au cachot avec tortures de la part des matons, des sévices de la surveille honnie, dite « La Marquise », mettent vite un terme à tout moment d’apaisement. Marianne et Daniel amoureux vont être aussitôt séparés par un drame. En parallèle, Marianne a été appelée plusieurs fois au parloir par un inconnu, un flic d’élite qui lui propose de la recruter pour tuer en échange de la liberté dans un pays de son choix. Sauf que Marianne n’a jamais tué de sang-froid mais elle seule le sait.

Le livre prend des allures de « Nikita » dans sa seconde partie, cette mission qu’a été obligée d’accepter Marianne de liquider deux magistrats ripous. Là, on force un peu dans la séduction absolue que Marianne, la tueuse, la panthère aux yeux noirs, championne de karaté, exerce sur les hommes, Franck, le flic, ayant le même comportement que Daniel, le maton, engageant avec elle une relation dominant-dominé qui le fait plonger. Car le livre, malgré sa violence et son réalisme, sa noirceur jamais démentie, est terriblement romantique. Amour, rédemption, sacrifice, le personnage de Marianne est une sorte de martyre moderne. Le livre est captivant, très bien écrit, et, fait étonnant de nos jours, sans une once de vulgarité alors que l’univers se prête à tous les excès de langage, piège dans lequel l’auteur ne tombe jamais. Très original, « Meurtres pour rédemption » est un livre à part entière, autant thriller que mélo, sur toile de fond d’analyse de société, attractif, addictif comme son héroïne.

 

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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