Ce nest peut-être pas le film le plus connu de Brian de Palma mais cest sûrement un des meilleurs, de la période où les réalisateurs italo-américains étaient au firmament du nouvel Hollywood des années 80. «Outrages» («Casualties of war»), qui fut tournée en 1989, préfigure ces films sur la guerre traités du point de vue de la psychologie des soldats comme plus tard «La Ligne rouge» (1998) de Terrence Malick.
Un homme dans le métro, accablé de pensées, dans un silence ponctué par le bruit des machines, des portes qui coulissent, du grincement des freins, sendort. Sur une musique de flute de pan, limage du métro fait place à une photo dans la jungle du Vietnam, un bataillon de six hommes dont lui, le soldat Eriksson, pose son paquetage pour la nuit sous le commandement du Sergent Meserve. Des ordres fusent, des détonations claquent, un soldat marche dans la forêt en reconnaissance et croit repérer un vietcong, il tire, le groupe est repéré, la zone bombardée Dans lembrasement rose de la forêt, un soldat explose comme un feu dartifice Le soldat Eriksson reste à larrière, les jambes coincées dans un talus et crie à laide dans le vacarme infernal des bombes qui enflamment la zone Un soldat vietcong rampe dans un tunnel, un couteau entre les dents, dehors, un soldat à terre hurle «mon bras, où est mon bras ?», le sergent Meserve rampe lui aussi dans la forêt… Soudain, le viet sort du tunnel, alors, Meserve vide rageusement son chargeur sur lui, le regard bleu hagard, le cheveu dru, pas rasé, «prends ça, enfoiré !». Ensuite, le sergent M va aider Eriksson à sortir de son trou, il lui sauve la vie.
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A 18 000 kms de chez eux, le soldat Eriksson demeure aussi civilisé que le sergent, Meserve, son supérieur, est brutal et trivial, les deux hommes ont 20 ans, chacun se défendant de la terreur à sa manière. Malgré les différences, les hommes de la compagnie se titillent et se supportent jusquà ce quun drame interne éclate : le soldat Brownie, joyeux drille de la bande et seul copain du sergent Meserve, est tué dans ses bras La scène est admirable, Meserve, dans un effort de volonté immense, joué par un Sean Penn prodigieux dévasté par le choc et la compassion, tient Brown dans ses bras tout en lui faisant un garrot sur la gorge de son poing, et, quand lhélicoptère des secours emporte le brancard dun Brown moitié-mort, Meserve lui hurle un poignant «tu vas bien !» à pleurer, cest superbe!
Dans la scène suivante, le sergent Meserve, blanc comme un linge, tente de se raser avant une permission, ses gestes lents interrompus par le tremblement de ses mains, le regard fixe face au miroir de poche, répondant aux questions comme un automate, semblant de pas voir ses camarades, omnubilé par la mort de Brownie dont il ne peut pas parler. Cest alors que germe dans lesprit traumatisé du sergent Meserve une idée machiavélique pour venger la mort de Brownie : kidnapper une jeune femme vietcong pour lemmener avec eux comme un «petit plaisir portable» De ce moment-là, le sergent M bascule dans une rage incontrôlable, guidé par la haine et limpossible quête de réparation, sexcitant de propos salaces et de plaisanteries racistes. Seul le soldat Eriksson, outré, essaye de sopposer à Meserve, sans succès.
Le film est psychologiquement admirablement construit, on suit lescalade de la violence jusquà sexpliquer la logique aberrante du comportement de soldats jeunes et inexpérimentés ne supportant pas ce quils supportent et devenant fous. Des hommes démolis psychiquement, perdant toute notion de bien et de mal, incapables de maîtriser leurs pulsions sous le choc de la peur et de la boucherie des combats odieux pour lesquels ils ne sont pas préparés. Le spectateur est plongé dans un drôle de mélange dhorreur et de pitié pour ces soldats, bourreaux et victimes, sombrant dans une folie meurtrière pour tenter doublier facticement leur traumatisme dans une soif de vengeance immédiate en infligeant les pires sévices à une victime innocente, seulement coupable dêtre de la nationalité de lennemi.
Comme souvent dans les films de guerre, cest le spectacle de lenfer dans un paradis tropical, des paysages de rêve pour des scènes insoutenables. La photo est parfaite, les séquences senchaînent sans temps mort comme linéluctable du récit, le scénario est en béton avec le crescendo de lintensité dramatique jusquà la fin, linterprétation est au top, difficile de faire mieux…
Les acteurs : Sean Penn est le sergent Meserve : la démarche lourde de cow-boy, le cou dans les épaules, le rictus cruel, moqueur, méprisant, le regard halluciné, sadique, désespéré, la physionomie ravagée, à bout de forces, figée par la haine, la voix rauque exaspérée, cinglante, rageuse, hurlant, raillant, menaçant, donnant des ordres, il campe un personnage odieux, névrosé et ignoble tout en arrivant à faire passer une fragilité et quelque chose dhumain en filigrane qui exsude du monstre, un tour de force ! Dieu sait si je suis déjà une fan inconditionnelle de Sean Penn mais dans ce film il surpasse en génie de linterprétation tout ce quon peut imaginer, les mots manquent pour en témoigner, il faut voir le film !!!
Michaël J Fox est le soldat Eriksson, un homme apparemment mièvre et peureux, trop pur, trop lisse, trop civilisé, parachuté dans un enfer peuplé de brutes, mais paradoxalement plus solide mentalement que ses compagnons, le rôle nest pas facile, surtout face à Sean Penn, mais cest son emploi, sorte de roseau conscient du groupe qui plie mais ne se rompt pas.
Le réalisateur Brian de Palma retrouvera Sean Penn en 1993 dans « Carlito’s way » (« LImpasse ») avec Al Pacino. Totalement métamorphosé physiquement (blond et frisé dans la rôle d’un avocat véreux), Sean Penn y obtiendra l’Oscar du meilleur second rôle.
Cest un film impitoyable avec des scènes dures sans retour, à réserver à un public averti, mais un excellent film coup de poing, dont on se souvient longtemps
Ecrit par Vierasouto/Blog CinéManiaC sur Allociné le 27/02/06
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