"Ennemis publics" numéro 2 : ils flinguent plus, ils causent…

 

Bien entendu, et c’est à peu près le sujet du livre, les articles de presse se sont surtout intéressés aux conditions du buzz médiatique précédant la sortie du livre, au « coup médiatique », le mystère entretenu par la maison d’édition sur l’identité de BHL, la distribution des extraits du livre, etc… plutôt qu’au fond de l’ouvrage. Pourquoi tant de haine? est donc le prétexte de cet échange épistolaire dont on est tout de suite gêné par son statut de correspondance préméditée pour la publication, les propos sont donc contrôlés en vue d’être imprimés, ce qui ne va pas, pour moi, dans le sens d’une lettre à un ami, un tiers et même au Trésor Public… Pourtant, on veut croire que, malgré le début coincé de cette correspondance trop polie (et elle le restera avec des « cher ami » très siècle dernier, des compliments et remarques flatteuses dans le sens du poil, etc…) les deux écrivains ont accepté de lâcher prise, notamment en parlant de leur enfance, le sujet étant trop anxiogène pour louvoyer.Pourtant, la question qu’on se pose quand on démarre la lecture ce livre, ce n’est pas tant le pourquoi de cette haine suscitée par deux écrivains riches et célèbres, surexposés médiatiquement, devenus malgré eux davantage des people que des penseurs, qui voudraient aussi être aimés, ou du moins respectés, mais pourquoi ce livre? Car les deux sont à peu près d’accord sur l’essentiel, la lutte contre l’adversité, BHL noyé dans ses milles et une citations, faisant parler « ses auteurs » à sa place, Houellebecq, plus intéressant, plus vrai comme tous les gens qui parlent peu. Le livre est-il un message privé aux critiques qui leur pourrissent la vie, aux biographes non autorisés, à « la meute », comme dit Houellebecq? Ce livre pour nous/leur dire qu’ils savent et même ils anticipent le dénigrement systématique, leurs livres, leurs films (ils ont en commun l’éreintement critique programmé de leur unique film), ne seront pas lus, pas vus mais cassés a priori, ça fait bien longtemps que les critiques n’ont plus rien  à voir avec le contenu de mes livres, dit laconiquement H, ou qq chose comme ça.
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Un livre à vocation cathartique, ils souffrent, ils « gèrent », vilain mot, BHL, le mondain, apparemment mieux que H, le solitaire, pris dans un mouvement perpétuel de voyages, de mondanités, de plateaux télé sans retour que de durcir encore l’image du dandy humanitaire, Houellebecq de plus en plus isolé, ayant quitté la France pour Dublin, ayant quitté à présent même Dublin pour une région plus isolée d’Irlande, qui dit que seul le poids de lire tout en anglais le ferait peut-être revenir en France… Houellebecq sort gagnant de ce duel car il ose la sincérité, misant sans doute sur le fait éprouvé que quand on dit la vérité, on ne vous croit pas et il n’a pas tort. Ainsi, ces pages sur son absence de modestie qu’il revendique, sur cette envie de dominer le monde qu’il avait enfant tout en ne désirant pas se mettre pas en avant, toujours l’ambiguité… Ainsi, cette phrase lapidaire que s’il se suicidait demain, ça n’étonnerait personne…

De toute façon, un homme qui aime autant son chien, seul vrai compagnon dont il parle avec une tendresse pudique, l’animal malade vient d’être opéré, il lui faut un repos complet, peut-il être foncièrement mauvais? (et je le dis sans aucune ironie). BHL se voudrait bien sans doute lui aussi sincère, il fait des tentatives comme ce coup de fil à une tante nonagénaire, morte avant le rendez-vous pour parler de son enfance, mais il n’en est apparemment plus capable, s’étant perdu de vue de longue date, en revanche, il a le sens de l’amitié, de l’autre, cet autre qui lui évite de se raconter.L’enfance, donc, convoquée à la rescousse, donne les seuls moments touchants du livre, peut-être pas toujours pour ce qu’ils racontent, par exemple, cette obstination de BHL à décrire une enfance heureuse, plaignant H après les déclarations monstreuses de sa Madame Bovary de mère aux médias en lui opposant sa propre mère merveilleuse… En revanche, les pères des deux écrivains sont présentés comme des hommes « en retrait » : celui de BHL, né plus pauvre que les pauvres et mort plus riche que les riches, n’ayant plus aucun ancrage dans ses milieux d’origine et d’arrivée, était un homme quasiment mutique, détestant les signes extérieurs de richesse de sa nouvelle position sociale, préoccupé de se gommer du monde ; le père de H, tel qu’il le décrit, guide de montagne, jamais intégré ni dans sa région d’adoption où il n’est pas né ni dans sa profession où il n’a pas les diplômes de ses collègues, préfigure l’antihéros que H va souvent décrire dans ses livres : le beauf lucide, contraint à une vie médiocre qu’il jauge, à fréquenter des individus stupides qu’il juge, indifférent à tout par défense mais nostalgique de l’Eldorado d’une réussite sociale et matérielle pourtant méprisable, méprisée, comme celle du père de BHL, qui, l’ayant atteinte, s’en excuse, s’y sent mal… Le passage où H se rappelle qu’enfant son père avait pour client Giscard ou Riboud est assez émouvant, il le raconte avec le regard émerveillé de l’enfant qu’il était… Pères « en retrait », fils sur le devant de la scène… mais conspués, malmenés, devenus « chair à médias », payant le prix fort de la célébrité qu’ils savent imbécile mais à laquelle ils sont pourtant addict, demandant un peu comme autrefois Johnny Hallyday hurlant à terre en concert « y-a-t-il quelqu’un pour m’aimer ici ce soir???? »

Au détour des lignes, H parle de ses tentatives d’autobiographie sur internet, il y a renoncé, dommage, d’internet, outil génial qu’il considère comme sous-employé, il s’attend aux mêmes réactions « de meute » envers lui, ce livre, l’homme est sans illusion, ayant presque renoncé à se défendre, ce qui est la meilleure défense, BHL, lui, fabrique les siennes en s’épuisant… Car les deux écrivains tâtent du Google tout en s’en défendant, un peu comme on irait consulter une voyante. Le regard de l’autre, fut-il considéré comme le dernier des crétins, ferait donc la loi, c’est toute l’ambiguité de l’écrivain qui se profile dans ce livre, être publié, reconnu et lu par des gens qu’on fuit, pour lesquels on a souvent aucune estime, dans le meilleur des cas de l’indulgence, dans le pire du mépris, qu’importe les milliers de lecteurs anonymes (les deux écrivains sont aussi parmi les meilleurs vendeurs de livres) si la critique, petit microcosme mesquin parisien, du brillant Rinaldi au tueur Naulleau ne les « reconnaît » pas… Car, même si le parano a aussi des ennemis, comme disait l’autre… de quoi souffrent au juste BHL et MH? D’avoir un succès populaire, de vendre des livres qui valent deux fois le prix d’un DVD? D’être incompris comme tout écrivain par essence (« Vivre ou écrire, il faut choisir », dixit justement Angelo Rinaldi)? Ou d’avoir vendu, donné, leur âme aux médias qui les ont transformés en Britney Spears de la littérature? Comme Jean-Edern Hallier que BHL tâcle bêtement alors qu’il soufrait du même mal : l’individu avait dévoré l’écrivain, il n’y était pas pour rien, il y avait peu de chance que ce soit réversible sauf posthume et il le savait…

Lire aussi la critique du film « La Possibilité d’une île ».

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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