« Erik Nietzsche » : les désarrois de l’élève Nietzsche

Jacob Thuesen, sortie 7 janvier 2009

Ce film, écrit par Lars Von Trier, qui s’y est beaucoup investi en faisant aussi la voix du narrateur, est intelligent et vraiment très drôle : loufoque, déjanté sur les bords, ça, c’est pour la forme, car dans le fond, tout ce que raconte ce film n’est autre que le douloureux apprentissage du métier de réalisateur dans une école de cinéma qu’on va montrer sous le jour le plus noir. Erik Nietzsche existe, il a écrit ses mémoires de jeunesse sous un pseudonyme où il a raconté son itinéraire d’artiste qui voulait faire du cinéma confronté à une école qui semble l’avoir traumatisé, et de ce livre, a été tiré le scénario du film.A la fin des années 70, Erik Nietzsche, jeune homme naïf et poétique, qui filme les arbres et les feuilles sans relâche, débarque de sa campagne et rejoint une école de cinéma subventionnée par l’état grâce à une erreur de dossier. Intégré à un groupe à qui on annonce qu’on ne retiendra que trois candidats à la fin de la session, Erik Nietzsche est présenté un peu comme le Forrest Gump de l’histoire, crédule, maladroit, presque mutique, apparemment sans défense, il se laisse utiliser par ses camarades et subit le mépris de ses professeurs. Les professeurs de l’école de cinéma sont le jeu de massacre du récit : présentés comme des obsédés sexuels imbus de leur talent, tel celui qui présente ses films nullisssimes comme exemples aux élèves et devient fou en commentant un horrible tableau érotique. Ou celui qui meurt d’une colère contre Erik Nietzsche dans les toilettes… Voire le scénariste qui enseigne le récit en spirale, etc…
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Sur le tournage du film de fin d’études, ce n’est pas mieux, parce qu’Erik Nietzsche, affecté aux corvées de café, a bousculé les rails de la caméra, le technicien appelle son responsable syndical, toute l’équipe cesse le travail. Une actrice qui a des scènes de nu dans le film se met tout de suite à poil et s’en va serrer des mains sur le plateau. Mais les scènes les plus drôles sont les essais de films des élèves : Erik Nietzsche choisit en toute simplicité « Le Décaméron » qu’il intitule « Les Feuilles du Décaméron », incapable de répondre aux questions sur les intentions artistiques de ses personnages, les actrices refusent de tourner pour lui, il engage des figurants… Recruté par l’élève le plus méchant du cours pour lui servir d’acteur, ce dernier demande à  Erik Nietzsche de sauter d’un train sur le toit de la voiture de l’école, ce qui va omnubiler le directeur qui cherche le coupable qui a abîmé le véhicule de fonction, incapable d’évaluer le film.
Peu à peu, le système va tranformer l’artiste naïf et rêveur en un individu de plus en plus indifférent et calculateur, seule issue pour faire du cinéma. Ce film est une charge à la dynamite sur le milieu du cinéma, parfaitement grotesque et détestable, mais qui malgré tous ses défauts, n’ôte pas la fascination pour le métier et l’envie de faire des films. Erik Nietzsche finira par négocier avec la réalité de ce microcosme mesquin et absurde pour mener à bien ses projets, animé par cette priorité: faire du cinéma envers et contre tout. Les trouvailles de mise en scène et les effets créatifs pleuvent sur ce petit film modeste pourtant brillant et plein d’humour, du cinéma sur le cinéma avec une approche originale et percutante, un film mixant ode au cinéma et colère dévastatrice à l’échelle des souffrances endurées par Erik Nietzsche pour devenir réalisateur. Coup de coeur : à ne pas manquer! 

 

Notre note

4 out of 5 stars (4 / 5)

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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