"Hell" : Le paradis, c'est l'enfer

Bruno Chiche, 2006

 

La salle est remplie de pétasses sosies de Lolita Pille qui commençait son livre ainsi «je suis une pétasse», et pour le «sois belle et consomme», le credo de l’auteur, l’une des spectatrices avouera à la sortie du cinéma avoir eu 14 appels sur son mobile. Les autres prendront la salle de cinéma pour une traverse entre les toilettes et leurs fauteuils, s’y rendant fréquemment et par deux, un petit ballet de va et vient non stop qui fait que le spectacle est plutôt dans la salle bondée des clones du film il faut dire que sur l’écran, il n’y a pas grand-chose d’excitant à regarder.
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C’est que les toilettes de «Hell» sont le cur du récit : c’est là qu’on se remonte le moral aux ecstas de tellement et toujours rien branler, la narine palpitante dans la poudre, «c’est pas de la drogue, c’est de la coke !», avec des billets de 500, la thune des parents, ces connards, en rouleaux de 20 printemps ; c’est là qu’on s’engueule, qu’on règle ses comptes, entre copines trahies, les Victoria, les Tatiana, qui se piquent un mec, le salaud, «j’aimerais bien être une salope» dit l’une d’elle ; c’est là qu’on se remaquille, l’il vague dans les miroirs en sous-sol, gloss sucrés et poudre de riz pour retourner au combat et s’emmerder, encoreLa faute à l’exténuement des nuits identiques, des partouzes pathétiques où Hell y rencontre le père de sa meilleure copine, Sybille, où la maîtresse de maison, enceinte, débraillée, défoncée, fait le tour du salon à cheval sur son jules, quel ennui « tu sors d’où, d’une de ces soirées à la con j’imagine?», demande Andrea à Hell. Pas de valeurs sauf le fric, les Porsche, les paquets griffés des boutiques de luxe, «je me suis cassé le talon», se plaint une copine «tes Gucci?» s’inquiète l’autre, « non, mon pied!», «ah bon, tu m’as fait peur!».

La faute aux parents largués, démissionnaires, «tu te lèves tôt ce matin!», «j’ai décidé de retourner à l’école», «quelle bonne nouvelle, je suis ravie, ma chérie !», dit la mère, débordée, la faute à pas de limitesMême pas d’engueulades, «c’est moi que tu attends maman?» s’étonne Hell en rentrant chez elle en pleine nuit, la mère répond «non, c’est ton père». Pas plus de moralité, encore moins de morale, «dis, Ella, bois pas tout en une journée, c’est du Château Margaux», raille le père en rangeant ses caisses de vin. Et l’incommunicabilité érigée en mode de communication «je sais tu as fait mai 68, tu prenais du LSD avec papa à Ibiza», lance Andrea à sa mère, «ne me prend pas pour une vieille conne!», il a fallu qu’il sorte de garde à vue pour qu’elle se soucie de son fils.

La faute aux histoires d’amour qui sont des bons coups d’un soir sans visage, «vous en avez parlé au père?» demande la gynéco à Hell, «je le connais pas», «on peut toujours savoir», reprend le médecin, «de toute façon, je veux pas qu’il ait une mère comme moi j’en veux pas». La faute à Andrea, le double, qui la ramasse sur le trottoir de l’avenue Montaigne quand elle sort de la clinique en sanglots «je peux vous aider Mademoiselle?», Hell refuse, il lui donne un mouchoir, elle se retourne, il remonte dans sa Porsche noir, intérieur cuir noir, ils sont pareils «Tu fais quoi ?» lui demande Andrea le soir de leur seconde rencontre «rien», répond Hell, «moi non plus alors, buvons à rien !», ils trinquent, sifflent leurs flûtes de champagnes dans cette boite sinistre éclairée aux chandelles, assourdis des stridences de la soprano espagnole, plus c’est sombre, plus c’est chic.

La rencontre de deux paumés révoltés, des jumeaux, des alter ego, qui voudraient bien s’aimer si ils savaient comment, si le spectre de l’échec des parents ne venait roder dans les appartements somptueux et désertés, les lits défaits, les DVD sur les écrans géants, les concours de beuverie pour passer le temps, «on sera sales mais ensemble» dit Andrea. Quand ils ne sont pas couchés, ils sont vautrés dans les boites, les soirées, clopinent vers les taxis, vomissent dans les toilettes, trop crevés pour sortir, trop démolis pour rentrer, trop chargés pour dormir. Passé l’éblouissement de se découvrir identiques, Andrea et Hell se détruisent pour se préserver «pourquoi tu es partie ?» «pour te sauver », «c’est réussi, j’ai failli en crever !».

Au départ, il y avait un livre assez génial d’un auteur surdoué de 19 ans, école «Moins que zéro» de Bret Easton Ellis, Lolita Pille, dont le réalisateur Bruno Chiche n’a rien su tirer, pire, il l’a affadit, l’a rendu quelconque et vulgaire, le résumant à une somme de clichés, souvent mal filmés, mal observés et avec la garantie d’une émotion et d’une sensualité proche de zéro : faut le faire en filmant toutes ces étreintes, chapeau !!! En revanche, la fascination de Bruno Chiche pour les VIP nous vaut des reportages sur des appartements immenses somptueusement décorés, l’omniprésence de l’avenue Montaigne (qui avait déjà inspiré Danièle Thomson la semaine dernière) et un défilé de sacs à main Vuitton, Céline, Gucci, Prada et les autres (les amateurs apprécieront), et des jean Diesel, des montres Rolex, des briquets Dupont, des lunettes Dior à profusion, un vrai sponsoring !!! Sans doute le réalisateur a-t-il pensé qu’il suffisait de planter le décor d’un monde guidé par les apparences Et de faire fumer les personnages dans tous les plans, prendre des substances illicites un plan sur deux, l’autre plan étant occupé pour la vodka et le scotch, ce qui vaut une interdiction du film aux moins de douze ans

On ose des scènes mièvres, assez ridicules, comme Hell en robe rouge parachutée à la plage sous un phare blanc et rouge et des images d’elle marchant au ralenti Au ralenti aussi les images de Hell nageant sous l’eau dans une piscine sur une musique classique lyrique, enchaînement sur les deux à l’opéra faisant scandale, scène totalement incrédible, Hell déguisée en pute hurlant dans la loge
Les acteurs :

Que dire des acteurs dans ces conditions : qu’ils font ce qu’ils peuvent pour sauver les meubles : on sent bien les dons de Sara Forestier, repérée dans le César de l’année dernière : «L’Esquive» mais aussi platement dirigée, elle semble trop gentille pour une Hell, le regard trop limpide, l’expression trop paisible, le personnage doit être beaucoup plus dur, plus buté, plus futile «ma seule préoccupation, c’est la tenue que je vais porter aujourd’hui», plus auto-destructrice, dans le film, elle est presque cool.

Même remarque pour Nicolas Duvauchelle, le séduisant Monsieur Ludivine Sagnier, tout tatoué, et acteur fétiche de Xavier Giannoli avec "Les Corps impatients" (2003) et le chichiteux "Une Aventure" (2005). Dans le roman, Andrea est un personnage introverti, retors, taré, en permanence sur la défensive, «le mec dont rêvent toutes les petites connes que personne n’a eu et que personne n’aura jamais», ici, c’est un mouton… Les deux acteurs jouent des personnages auxquels ils ne croient pas malgré leurs efforts, c’est la rencontre de deux «tueurs» repentis, rattrapés par leurs démons, qu’il fallait mettre en scène, pas de deux loques

Bruno Chiche, acteur et réalisateur, a déjà à son actif «Barnie et des petites contrariétés» (2001) avec Fabrice Luchini, un film qui a eu bonne presse, et, apparemment, il n’a pas passé l’étape délicate du second film, peut-être le troisième…

Bon, mieux vaut lire le livre de Lolita Pille «Hell» (2002) qui existe en livre de poche et pourquoi pas le suivant «Bubble gum», une sorte de suite, un livre très réussi et plus abouti que le précédent, malgré le titre anglais pour la galerie, dans les interviews, l’auteur a dit un jour qu’elle écrivait pour ne pas boire, Bukowski faisait très bien les deux mais je plaisante… LP est un vrai écrivain, ça se fait rare…

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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