"In the cut" : le prix du désir

DVD, Jane Campion, 2003


Au début du film, Jennifer Jason Leigh se promène dans un jardin, on ne reverra ce jardin et cette lumière qu’à la fin du film et ce sera Meg Ryan la promeneuse. Car tout le film se passe dans un décor ocre et verdâtre matiné de lumières rouges et de néons blafards.

En exergue, il y a aussi cette scène tournée en sépia avec un jeune couple d’amoureux d’un autre siècle sur une patinoire. Cette scène identique ou modifiée, fera irruption plusieurs fois dans le film : c’est la rencontre des parents de Frannie, on apprend plus tard que sa mère est morte de chagrin quand son père est parti. C’est la scène clé du film, la genèse de l’angoisse des deux soeurs.Frannie (Meg Ryan) a donc une demi-soeur, Pauline (Jennifer Jason Leigh). Physiquement, elles ont l’air de deux soeurs jumelles avec leurs cheveux coupés au carré aux épaules et leurs lunettes noires dans les rues sans soleil d’un quartier de New York tout en briques rouges.
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Frannie (Meg Ryan) est professeur d’anglais, son hobbie, ce sont les mots, les phrases, les citations, les murs de son appartement lugubre en sont tapissés. De Pauline, la soeur, l’amie, on ne sait pas grand chose sauf qu’elle s’obsède sur les hommes et accessoirement sur le mariage. Pauline-Jennifer Jason Leigh est le double de Frannie-Meg Ryan, en plus cru, plus sexuelle, plus séductrice, limite nympho. D’ailleurs, Pauline habite au dessus d’un club de strip-tease miteux , le « Baby Doll Lounge », et a déjà un pied de « l’autre côté du miroir ».Un samedi après-midi, Frannie et un de ses élèves, Cornelius, vont travailler dans un bar en sous-sol, le « Red Turtle », pour collecter du vocabulaire, elle a ses lunettes de prof sur le nez et elle prend des notes sur un carnet. Soudain, Frannie se dirige vers les toilettes, la lumière y est encore plus sombre que dans le bar, si c’est possible. Zoom sur une scène de fellation en gros plan, sur les ongles bleu métallisé d’une femme et le 3 de Pique tatoué au poignet d’un homme sans visage, Frannie demeure sidérée dans l’embrasure de la porte.

 


photo Pathé

 

Quelques jours plus tard, un flic vient poser des questions à Frannie à propos de l’assassinat d’une jeune femme, Angela Sands, le samedi précédent dans son quartier. Frannie remarque immédiatement le poignet du détective Malloy (Mark Ruffalo) tatoué d’un 3 de Pique. Soit le même tatouage que celui de l’homme dans les toilettes du « Red Turtle ». Dès lors, Frannie à tort ou à raison, se persuade que c’est lui, Malloy, l’homme de la fellation et pourquoi pas l’assassin.

 

S’en suit une séquence assez sensuelle ou Meg Ryan, comme on ne l’avait jamais vue auparavant, est couchée nue à plat ventre sur son lit pour une scène de masturbation en fantasmant sur le poignet tatoué de l’homme du « Red Turtle ». Le casting est ingénieux avec ce flic au physique quelconque et aux manières vulgaires, devenu objet du désir et de crainte, qui va exercer une irrésistible atraction-répulsion sur Frannie.

 

Mais le détective Malloy n’a pas que son tatouage pour séduire Frannie, dès le début de leur rencontre, il utilise le sésame : les mots, il annonce « je serai qui vous voulez que je sois… j’ai tout fait… ». Le langague est le vrai moteur érotique du film. Malloy possède aussi un double en la personne de son collègue, l’inspecteur Rodriguez, mis sur la touche pour tentative de meurtre sur sa femme.

 

Tout au long de l’histoire, Jane Campion joue sur cet affrontement entre les deux personnages entre eux et avec leurs doubles, Frannie et sa soeur Pauline, le détective Malloy et son coéquipier. En parallèle, Jane Campion joue sur l’opposition du thème sexe/mort avec le thème omniprésent amour/mariage : fiançailles des parents dans le film tourné en sépia, ex-fiancée qui jette sa bague sur la glace, bagues de fiançailles que laisse l’assassin comme signature, image de mariée accablée vêtue de blanc sur le quai du métro, omnubilation de la soeur Pauline pour le mariage, évocation des fiançailles par Malloy.

 

On notera l’apparition de Kevin Bacon, très bon dans le rôle de John Graham, ex de Frannie, personnage névrosé et gémissant mais sympathique. Les acteurs sont tous parfaits : on ne s’étonne plus de l’excellence de Jennifer Jason Leigh, qui ressemble encore plus que d’habitude à Isabelle Huppert. Meg Ryan est aux antipodes de la nunuche de service qu’elle a l’habitude de camper dans les autres films. Les 2 actrices sont fimées sans concessions avec des teints ternes, des maquillages peu flatteurs, des brushings mal raidis, les visages souvent filmés en gros plan qu’affectionne Jane Campion. La lumière est très réussie dans le style de cette ambiance blafarde et ocre.

L’histoire est plus crédible qu’il n’y parait bien qu’on déborde de symboles et de références censées faciliter la compréhension mais qui finissent par noyer la narration. Ainsi, la scène de la fin est assez réussie mais trop marquée de signes et de codes comme cet immense phare rouge qui se dresse comme un phallus géant.

 

Un film à déconseiller aux âmes sensibles car le spectacle des découvertes des victimes odieusement agressées est assez insupportable. Quelques scènes sexuellement explicites relèvent plutôt de l’interdiction aux moins de 16 ans que de 12 ans. Il y a chez Jane Campion un parti pris d’images « choc » et de paroles crues qui nuisent paradoxalement à l’objectif. Ceci dit, dans l’ensemble, c’est un film de qualité, bien qu’un brin trop intellectualisé. Car le sujet du film porte en réalité davantage sur les mécanismes du désir féminin qu’il n’est un véritable thriller, le genre servant ici de support. Frannie dira « j’ai peur de ce que je veux » et le détectice Malloy lui répondra « on ne peut jamais satisfaire les femmes ».



Notre note

4 out of 5 stars (4 / 5)

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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