"L'ivresse du pouvoir" : Le Huppert Power Show

Claude Chabrol, 2006

Quel ennui que ce dernier Chabrol Comment se fait-il qu’on peine autant à regarder ce film? Qu’avons-nous fait pour mériter cette punition ? Show Huppert première partie : madame le juge, Jeanne Charmant-Killman a le cheveu frisotté châtain, un tailleur noir et un sac à main, des gants en peau rouge, des lunettes à monture rouge. Show Huppert seconde partie : après un accident de voiture venu partager le film en deux, Madame le juge porte une petite coupe de cheveux blond-roux au carré avec une frange mutine (le vrai évènement du film), un chemisier en soie rose sous son tailleur noir et toujours ses gants en peau rouge.
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Que s’est-il passé dans l’intervalle ? «Les hommes qui passent maman» et dans la vie de Jeanne Charmant-Killman (un patronyme qui dit tout…), juge d’instruction, les hommes se bousculent D’abord, il y a le séduisant patron de la société sosie d’Elf Aquitaine, Jacques Sigot (Patrick Bruel), avec qui elle aime minauder au restaurant. Le salaud vient de balancer et prendre la place du pauvre Michel Humot (François Berléand) que madame le juge s’empresse de mettre en examen et en prison dans le quartier VIP. Ensuite, il y a le mari (Robin Renucci) de Jeanne, un biologiste dépressif qu’elle néglige. Et le neveu (Thomas Chabrol) de son mari, venu squatter leur appartement, un raté de l’ENA, oisif et stratège, qui amuse Jeanne bien davantage que son époux. Au bureau, le supérieur hiérarchique de Jeanne, Martineau (Pierre Vernier), aux petits soins avec son ancienne compagne de fac, dont elle use, abuse et refuse la promotion qu’il lui propose «avec, tu t’achèteras des couilles!». En arrière plan, une faune politico-affairiste fumant des Havane dans des lieux huppés en comptant les points : un sénateur requin au parler méridional faussement bonhomme, qui mène la danse, avec les sosies de Roland Dumas et de Christine Deviers-Joncour en toile de fond

Que fait donc Jeanne CK quand elle ne suit pas les conseils de sa collègue Erika «on va les prendre aux couilles ces machos»? En fait, madame le juge ne sait rien faire d’autre : elle court de ses dossiers au Palais à son ordinateur portable dans sa chambre, elle donne des ordres au téléphone, elle convoque, elle renvoie, elle interrompt, elle humilie, elle vexe, elle pérore, elle parade, elle fait son numéro, son credo «Je veux faire plonger tous ceux qui croyaient savoir nager». Quand Humot lui demande «pourquoi vous acharnez-vous sur moi?», elle n’en sait rien, elle répond sans conviction «pour faire un exemple pour la France».

Petite femme maigre et sèche, ambitieuse, carriériste, castratrice, Jeanne CK, dite le piranha, aboie, mord et fume (mais interdit de fumer dans son bureau) Epuisant son énergie à détruire les puissants pour récupérer leur pouvoir, par un système de vases communicants, tout en rêvant des belles toilettes des maîtresses des escrocs qu’elle poursuit, posant à l’occasion pour la couverture du Paris-Match, devenue elle aussi une star. Causant plus de dégâts sous l’alibi de la justice qu’elle ne rend de services à une société où les escrocs poussent comme des champignons sur un terreau de magouilles et d’intrigues qu’elle prétend assainir. Sous le prétexte de mettre en scène l’affaire Elf et la juge Eva Joly, Claude Chabrol filme l’ivresse du pouvoir de jouer la comédie de sa muse Isabelle Huppert qu’il retrouve pour la septième fois, une de trop ?

Alors qu’elle excellait dans les rôles de victimes meurtrières que lui confiait Chabrol : parenticide dans «Violette Nozières», condamnée à l’échafaud dans «Une Affaire de femmes», morte empoisonnée dans «Madame Bovary», empoisonneuse dans «Merci pour le chocolat», infanticide dans «La Cérémonie», voleuse dans «Rien ne va plus», elle déçoit dans le registre du pouvoir assumé sans pourtant déroger à cette ambivalence entre le bien et le mal qui fait sa marque. Un peu comme Truffaut traquait, fasciné, tous les soubresauts du visage de l’autre Isabelle Adjani dans « Adèle H », Chabrol délaisse très vite son sujet pour ne plus filmer obsessionnellement qu’Isabelle Huppert, sa silhouette filiforme sanglée dans un grand manteau bleu, sa minceur anorexique dans des pantalons noirs en taille fillette, et son visage en gros plan sous tous les angles avec ses moues, ses grimaces, ses pincements de lèvres, ses narines dilatées, ses regards mats, ses tressaillements de menton, c’en est vraiment trop Plus pénible encore, la voix fabriquée qu’adopte Huppert dans le film, parlant ostensiblement du bout des lèvres en s’écoutant parler, travaillant ses effets en traînant exagérément sur les intonations dans le genre Jeanne Moreau ou Delphine Seyrig, ne finissant pas ses phrases tout en se regardant jouer, semblant prendre indéfiniment la pose pour l’objectif Est-ce l’exposition qui vient de lui être consacrée à NY, son récent livre de photos d’elle par les plus grands photographes, la rétrospective de ses films à la Cinémathèque, le tout, dit-on, à son initiative, qui ont embourbée une des meilleurs actrices françaises dans une caricature outrée d’elle-même?

Hormis François Berléand qui a un rôle important bien que son personnage soit totalement ridiculisé, les autres personnages ne font que passer ; l’excellent Robin Renucci est une ombre qui ne dit pas deux mots, Patrick Bruel tente un numéro raté de type mondain «ciao ciao» à la Valérie Lemercier qui lui va incroyablement mal. Seuls deux acteurs valent un coup de chapeau : le génial Jean-François Balmer, dans une scène beaucoup trop courte, donne une idée de ce qu’on aurait aimé voir et entendre. Et Marilyne Canto, actrice issue du cinéma d’avant-garde (comme celui de Philippe Garrel) qui campe la juge rivale et copine avec un bel aplomb et un grand naturel. Ce film fait en famille, avec tout un tas de Chabrol au générique met aussi en scène le fils de Claude Chabrol qui ne s’en tire pas trop mal dans le rôle du neveu.

Un film creux, relatant du bout des doigts des évènements que tout le monde connaît par cur, ne révélant rien, ne prenant aucun parti que celui de la comédie du pouvoir et de la comédie tout court. Un film caractérisé par une inertie bavarde et une résignation à ne s’offusquer de rien, affichant un cynisme débonnaire assez trivial, un anti-film engagé qui feuillette l’affaire Elf comme le bottin mondain. Manquerait plus que la citation de Beigbeider dans son dernier livre « ce qui m’ennuie avec Roland Dumas, c’est qu’il a démodé mes Berlutti* »

*Chaussures que Christine Deviers-Joncour lui aurait offertes

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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