"Marie-Antoinette" : Un nom à perdre la tête…

Sofia Coppola, 2006

Il semble quil soit de bon ton et du dernier snobisme de la part des critiques de tout poil, de Télérama à Studio, en passant par les Cahiers du cinéma, de trouver MA génial tout en considérant les sans-culottes qui ny auraient rien compris avec condescendance… Qui nauraient pas saisi, par exemple, que le film ne traite en rien lhistoire de France mais du désarroi des jeunes filles en fleurs, comme Sofia Coppola y excelle dans ses deux précédents films : «Virgin suicides» et «Lost in translation». Quen poussant un peu le raisonnement, ce troisième volet dune sorte de trilogie relèverait plutôt de lautofiction se référant à la jeunesse de Sofia Coppola elle-même, héritière du monument du cinéma quest son père Francis FC et leader des icônes de la mode, ayant longtemps cherché sa voie, notamment en faisant un stage à Paris chez Chanel comme styliste dès lâge de quinze ans, puis de la photo de mode, en passant par la case actrice dans «Le Parrain 3» où les critiques de lépoque lont éreintée, laccusant dêtre responsable de léchec du film. Des influences que lon retrouve à 200% dans MA.

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Personnellement, ce qui ma frappée tout au long du film, cest le soin obsessionnel apporté au choix des couleurs et des étoffes. Si Sofia Coppola navait confié quelle a choisi les couleurs des costumes en partant des pâtisseries de Ladurée (il a inventé pour loccasion des macarons à la rose), on le devinerait aisément dautant quil pleut des gâteaux et autres assiettes de sucreries pendant une bonne partie de la projection, et, pour suivre les critiques qui ny voient quune transposition de la jeunesse dorée daujourdhui à Versailles, toutes ces jeunes femmes sempiffrent en restant aussi filiformes quAlly Mac Beal. On pourrait écrire un article entier sur le défilé des robes et des toilettes dans un camaïeu de tons pastels et éteints, avec la symbolique simplette dune touche de couleur vive ou foncée comme un vilain petit canard qui nous ferait comprendre demblée qui est la méchante : Madame du Barry, seule à porter du violet et du pourpre dans une assemblée en robes aux tons délicatement passés : ivoire, jaune vanillé, rose poudre, abricoté, un seul personnage en velours bleu France, le roi, voire la première dame, MA sémancipe à la mort de Louis XV, la voilà passant du noir occasionnel au costume en satin rose Barbie, etc Idem pour la musique de clip volontairement décalée pour nous mettre le marché en main : le choix du pop rock nest en rien anachronique, cest moderne et créatif, le cinéma nest pas un manifeste politique comme auraient le tort de le penser Nanni Moretti ou Rachid Bouchareb, mais delaaaart Ainsi la performance de glisser une paire de Converse usée parmi les délicats escarpins en satin a comblé les journalistes, quelle artiste!Le générique donne demblée le ton : sur une musique pop, un plan de Kirsten Dunst somptueuse, son corps parfait filmé de profil avec un gâteau rose et une pédicure à ses pieds, on nous promet rien que luxe, calme et volupté. Puis retour en Autriche sur MA adolescente aux cheveux raidis. Cest sans doute la toute première partie la plus réussie du film : le passage, bien que très stylisé, du monde de lenfance autrichienne à la cour du roi de France «vous entrez du côté autrichien, vous ressortirez du côté français comme dauphine de France». Toutes les sèquences en carrosse sont filmées également de profil, avec des plans sur MA à travers la vitre du carrosse et une musique qu’on aurait bien qualifiée d’assourdissante si on ne craignait de faire démodé…

Bien entendu, de 14 à 37 ans, hormis les changements de coiffure, autre indicateur avec les couleurs et la musique, il faudra pour le spectateur imaginer tout seul le rajeunissement et le vieillissement de MA, lactrice KD ne perdant ni ne prenant une ride de tout le film. Bien entendu, tout ce beau monde est briqué et propre comme si on avait installé des douches et des jacuzzis dans un siècle où la plupart des maladies étaient imputables au manque dhygiène de courtisans qui ne se lavaient pas. Bien entendu, toutes ces dames ont de petits chienchiens sous le bras comme dans les magazines people.

Avec un coup dil très américain de guide éclairé, la réalisatrice sattarde longuement sur les lustres de Murano, les ciels de lit, les tentures, avec un plaisir non dissimulé de tourner à Versailles. Quand on a filmé la déco, les costumes, reste à mettre en scène les relations entre les personnages, et cest beaucoup moins aisé On va donc imaginer dinterminables scènes de protocole tourné en dérision. Pourtant, une question seule obsède la cour et harcèle la pauvre petite fille futile inutile : son mari, le futur Louis XVI, ne la touchant pas sept années durant, sans héritier en vue, le mariage pourrait être annulé, cest loccasion de quelques rares plans sur la légende du rock, Marianne Faithfull, en mère culpabilisante de MA lui écrivant son mécontentement. Le même traitement elliptique est réservé à Aurore Clément, transfuge du non moins mythique «Apocalypse now » quon filme de loin en loin. Le sujet du film est ailleurs dans lobservation obnubilée de lintimité et la désespérance de ces jeunes filles oisives vivant en bandes, la duchesse de Polignac dans le rôle de la meilleure copine, qui passent le temps à manger et se gausser, à danser et flirter, et surtout, à boire des hectolitres de champagne, ce qui nous vaut multe plans des coupes qui se remplissent et se vident, et, cerise sur les gâteaux de Ladurée, un geste dune belle sniffant de la coke pour faire la paire danachronismes prémédités avec celle des Converse citée plus haut. Dans la salle parisienne où jai vu le film, le public était le même que pour « Hell » de Lolita Pille Si Sofia Coppola a voulu nous retranscrire lennui des personnages en temps réel, cest parfaitement accompli, on sennuie autant queux et sans rien à grignoter que les cookies surgelés de la chaîne Pathé-Gaumont!

Les relations entre Louis XVI et MA sont totalement angélisées, il est gauche et timide, naime rien tant que la serrurerie, elle est jolie et enjouée, un peu frustrée, joue à la bergère au Petit Trianon et à lamante passionnée avec Fersen, mais le couple royal se regarde gentiment sans un reproche comme deux enfants dans des vêtements trop grands pour eux. Petit à petit, bien quon ne comprenne pas très bien pourquoi dans le film tant cest montré par son et lumières sans un mot dexplication, la dépensière MA, dite lAutrichienne, va être détestée de tous, quand le peuple réclame du pain, elle répond «quils mangent donc de la brioche!» ; la scène où sa cour ne la suit plus pour applaudir au théâtre marque le tournant décisif de son tragique destin pour lequel la réalisatrice fera impasse sur son arrestation et sa fin sous la guillotine, se contentant dun unique plan final de Versailles très esthétiquement dévasté.

Bien quon lui ait tiré le tapis sous les pieds avec un rôle peu sympathique dinsupportable frivole aussi minaudante que désoeuvrée et vaguement dépressive, KD sen tire admirablement, en accomplissant le prodige de rester naturelle et presque attachante, à chaque image, on sent lempathie de la réalisatrice pour son actrice fétiche quelle avait déjà filmée dans «Virgin suicides». Sofia Coppola naime rien tant que les poupées blondes, cest elle qui lança la carrière de la superbe Scarlett Johansson que personne ne connaissait avant « Lost in tranlation », le rôle dévolu à la brune Asia Argento, une Du Barry, brune, trash et vulgaire, est éloquent. Outre les deux blondes mythiques très sous-employées que sont Marianne Faithfull et Aurore Clément, cest surtout une affaire de famille avec Jason Schartzman, cousin de Sofia Coppola, dans le rôle de Louis XVI, son frère Roman Coppola dirigeant la seconde équipe du film, son père, Francis Ford Coppola, comme producteur du film et son nouveau fiancé, le chanteur du groupe Phoenix, auteur dune partie de la musique avec celle des groupes des années 80 de la jeunesse de Sofia Coppola comme New Order ou Siouxsie and the Banshees.

Dans ce clip géant, fashion et fastueux sur BO ultra-branchée, le comble du chic consiste à traiter la Paris Hilton attitude dun groupe de happy few daujourdhui dans le cadre du Versailles du XVIII° en prenant le parti de mixer les deux époques, lune pour le fond, lautre pour la forme ; en niant toute implication politique (à la conférence de presse, la réalisatrice a refusé poliment de répondre à une question sur la politique de son pays) ; en se préoccupant exclusivement du thème de prédilection de la cinéaste : les souffrances de la métamorphose de la jeune fille en femme (superposable à lhydre à cinq têtes de «Virgin suicides»), voire de la perte didentité de létrangère arrivant en milieu hostile. Sagirait-il dune sorte de clone de Sofia Coppola, fille de qui en aurait bavé sans doute davantage que ne le laisserait supposer un statut social lui permettant doffrir 500 bracelets de chez Van Cleef et Arpels, distribués aux 500 invités de la fête de MA à Cannes comme carton dinvitation, ultime provocation qui en a exaspéré plus dun(e) resté(e) à la porte de la soirée Ce nest en rien un film distrayant, cest un film esthétisant de photographe so hype, louchant plus du côté de David Hamilton que de « Barry Lyndon », qui fait surtout penser à la suite royale dun palace de la taille dun château, où linsondable ennui des protagonistes le disputerait au luxe ostentatoire de la déco, finalement, on nest pas si loin que ça de la philosophie des fêtes du «Parrain» avec les chèques des invités dans la corbeille de baptême…

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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