"Quatre étoiles" : Beau fixe sur la Croisette

Christian Vincent, 2006

 

Elle était considérée à juste raison comme une des comédiennes françaises les plus talentueuses, un peu sérieuse, un peu bosseuse, un peu trop sage, dans «Quatre étoiles», elle est irrésistible, Isabelle Carré vient de franchir le pari de la comédie avec mention.
——La première scène n’augure pas une franche rigolade : une vieille dame mourante fait lire ses dernières volontés à son notaire et son curé en ronchonnant, au plan suivant, on met son cercueil en terre, au troisième plan, Isabelle Carré hurle de joie en recevant son courrier, la comédie peut commencer

On découvre France Dumanoir, dite Franssou (Isabelle Carré), fêtant son héritage avec ses copines dans un café, comment employer 50.000 Euros, à la fois trop et pas assez ? Franssou partage l’appartement de Marc (Michel Vuillermoz) à temps partiel, un fiancé rabat-joie et vieux garçon qui refuse de mettre les pieds chez elle dans sa chambre sous les combles à cause du lit à une place et de l’absence d’ascenseur. Clin d’il à Truffaut, «Domicile conjugal» les deux couchés sagement dans un lit, Marc lisant le journal en le commentant "il paraît qu’Onassis avait le mal de mer!" Tout le long du film, les images disent tout sans un mot : un cri en ouvrant une boite aux lettres, une affiche de Cannes collée à la porte, une fenêtre qui s’ouvre sur la Croisette.

Franssou à décidé de claquer son héritage en s’installant pour une semaine au Carlton à Cannes. La vie d’un palace est admirablement bien rendue avec son hall en marbre blond, sa déco qui transpire le décorateur, ses employés flegmatiques, mi-condescendants, mi-obséquieux, le concierge du palace qui en a vu d’autres, le réceptionniste que rien n’émeut, le ballet des clients furtifs à lunettes noires, le couple de Japonais en polo Lacoste, l’esbroufe des petits escrocs qui papillonnent déguisés en riches, la musique partout en sourdine.

Stéphane Lachesnay (José Garcia) est de ceux-là : il fait une entrée tonitruante dans la chambre de Franssou qu’il croit inoccupée, ayant enrôlé un employé de l’hôtel pour lui démontrer la mauvaise insonorisation de la pièce en inspectant tous les murs, allant jusqu’à faire le même test de bruit en duplex au téléphone avec une femme de chambre à l’étage en dessous. La scène est désopilante et ce ne sera pas la seule Monsieur Stéphane, habitué du Carlton où il appelle chacun par son prénom, vit de combines toutes plus tordues les unes que les autres. Quand il ne prétend pas organiser l’arrivée prochaine d’Elton John à l’hôtel, il essaye de vendre une maison qui ne lui appartient pas à un pigeon qui se fait tirer l’oreille. Harcelé par l’émissaire d’un voyou (Luis Rego) pour une dette de jeu, Stephane entreprend d’emprunter de l’argent à Franssou qui accepte sous condition de ne pas le lâcher d’une semelle jusqu’à ce qu’il l’ait remboursée. René (François Cluzet), le pigeon de Stéphane, ancien champion de F1, introverti et tatillon, va être tétanisé par un violent coup de foudre pour Franssou que Stéphane a mise à contribution pour tenter d’escroquer le coureur automobile, « avant elle, j’étais comme un moteur sans essence, une voiture sans volant ».

Vaudeville raffiné, comédie sentimentale entre une jeune femme apparemment crédule qui se révèle rouée et joueuse, midinette mais pas trop, et un escroc minable, fanfaron et égoïste, qui se laissera déborder par celle qu’il avait prise pour une proie. Ce qui fait la différence avec les archétypes figés des comédies ordinaires, c’est la finesse et l’ambivalence des caractères des personnages qui sont à la fois dupes et pas dupes, même le pigeon qui veut bien se laisser piller pour l’amour de Franssou.

Les dialogues sont savoureux et toniques, le film déborde de scènes toutes plus réussies les unes que les autres, il n’y aucun temps mort, on sourit, on s’amuse, un vrai bonheur qu’on n’avait plus connu depuis les comédies américaines des années 50 dont le film s’inspire, Isabelle Carré ayant dit dans une interview qu’elle avait pris pour modèle Shirley Mac Laine.

Les acteurs :

Isabelle Carré irradie d’un charme espiègle et mutin, entre candeur et roublardise, dans quel méandre de son inconscient a-t-elle trouvé ce regard et ce sourire ravageurs qu’on ne lui avait jamais vus à l’écran (peut-être un peu dans «Les Sentiments» de Noémie Lvovsky) ? Ayant débuté avec Deneuve dont elle jouait la fille dans «La Reine blanche», et à qui elle ressemblait, en rousse explosive, elle fait penser à sa sur, la piquante Françoise Dorléac. Habillée de tons seyant aux rousses : du vert olive, du violet, du noir, elle porte des petites robes décolletées très chics un peu sexy et des ballerines dorées qui soulignent bien l’ambiguïté du personnage. Le jeu de cette actrice est si précis qu’il évolue imperceptiblement avec l’histoire, ainsi, parachutée timidement dans le luxe, elle ne tarde pas à acquérir l’aisance des habitués des palaces de la côte, jetant négligemment ses clés de voiture au portier de l’hôtel, modifiant sa démarche et son port de tête.

José Garcia retrouve la comédie de ses débuts après avoir tâté des rôles dramatiques comme dans «Extension du domaine de la lutte» de Philippe Harel ou «Le Couperet» de Costa-Gavras. De ses années à NPA, il a tendance en renouant avec la comédie à en faire presque trop, c’est le seul petit bémol du film : cette propension à faire son show.

François Cluzet fait un numéro d’acteur assez bluffant : passant avec brio du registre de l’amoureux transi bégayant, quasi-mutique, au caractériel piquant une rogne, ou à l’obsessionnel mesurant compulsivement la taille exacte d’un garage. Cet acteur polyvalent qu’on retrouve aussi bien dans «L’Enfer» de Chabrol qu’en John Lennon dans «Janis et John» mériterait d’être en première ligne dans le cinéma français.

D’un réalisateur, Christian Vincent, qui a signé «La Discrète» (1990) avec Judith Henry et Fabrice Luchini, on pouvait attendre le meilleur et c’est mission accomplie au-delà des espérances… Il avait déjà dirigé Isabelle Carré dans "Beau fixe" (1992) et a réalisé récemment «Les Enfants» (2004) avec Karin Viard et Gérard Lanvin.

La musique d’André Manoukian, le charismatique juré de l’émission «La Nouvelle star» est très jazzy comme il les aime avec un zeste de zen (scène de l’hippodrome). Passé récemment à la musique de films, on lui doit aussi celle de «Jean-Philippe».

Excepté l’effet secondaire de se rêver comme Franssou dans les bains bouillonnants des salles de bains en marbre noir du Carlton ou à déambuler sur les épaisses moquettes crème des couloirs après une flûte champagne au piano-bar de l’hôtel, je ne vois aucun défaut à ce film fin et drôle, exceptionnellement bien interprété, ensoleillé et rythmé, un scénario en béton, des dialogues plein d’humour, un parcours sans faute, un objet rare, foncez !
*actrice des années 60, soeur de Catherine Deneuve.

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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