Retour sur le 55° Festival US de Deauville

6/15 septembre 2024

Pitch

Retour du 50° anniversaire de Deauville, les temps forts, Megapolis, Anora, Parthenope, etc. Les hommages, la compétition, le Palmarès.

Notes

Le grand moment cinéphile de Deauville cette année fut la présence de Francis Ford Coppola venu présenter Megalopolis. La salle de 1500 personnes s’est levée en applaudissant durant dix minutes. Il était touché. Ensuite, il a parlé simplement de la mort de sa femme après plus de 60 ans de mariage et tout le monde était profondement ému, en silence, impuissant a dire quoi que ce soit.

Je reviendrai sur Megalopolis, son film, en compétition à Cannes qui avait créé la polémique, comme on dit. Un film qu’il a financé entièrement. Un film auquel il pensait depuis trente ans. Le thème : la civilisation est le cancer de l’humanité ; dans un New Rome moderne, un architecte utopiste a le grand projet de tout rénover en profondeur, s’opposant par là au maire de la ville, corrompu et conservateur, que la décadence en place et en inflation ne dérange pas tant qu’il reste en poste. Le film sort le 25 septembre 2024.

Anora, photo Le Pacte

La veille, Sean Baker, réalisateur de The Florida project et de Red rocket, qui faisait l’objet d’un focus par le 50° Festival américain de Deauville, notamment en programmant une petite rétrospective de ses quatre premiers films, est venu présenter en avant-première Anora, palme d’or au dernier Festival de Cannes. Présenté comme une sorte de conte de fée moderne, où une jeune strip-teaseuse de Broadway rencontre le fils d’un oligarque russe et l’épouse (en fait, il la loue à la journée et finit par l’épouser plus par commodité de l’avoir sous la main que par un subit coup de foudre), il s’agit plutôt d’une comédie très décomplexée, très complaisante sur ce qu’elle dénonce (en creux) : la réalité des inégalités d’un monde d’aujourd’hui dont les seules (anti-) valeurs sont l’argent et le sexe, la première pouvant s’offrir la seconde. Le film débute longuement dans un club d’escort-girls, avec danses lascives et cabinets particuliers, et se prolonge chez le fils un peu niais et désoeuvré d’un milliardaire russe passant ses jours et ses nuits à frimer et faire la fête avec des comparses, entre deux rails de coke. En sortant, on se dit “c’est ça la Palme d’or de cette année?” mais en réfléchissant… On peut y voir (faiblement) un combat à armes inégales, il a les moyens matériels de tout acheter, elle n’a que son corps à  louer… La comédienne Mikey Madison, qui interprète le rôle principal d’Anora, a reçu, en amont de la projection le Prix Nouvel Hollywood, aussi timide sur scène qu’extravertie dans le film. Le film sort le 30 octobre 2024.

Anora, photo Le Pacte

 

A noter que ce Prix Nouvel Hollywood récompense des stars en devenir et le Festival américain sait bien les cibler. Ainsi, le comédien américano-roumain Sebastian Stan fut également lauréat du Prix Nouvel Hollywood avant la projection en AP du film A Different Man. Un film qui aborde les problèmes d’identité sous l’angle d’une pathologie et je dois dire que je peine à comprendre pourquoi plusieurs films cette année partaient de maladies (trisomie 21 pour Color book, trouble de la perception du temps pour Gazer, neurofibromatose pour A different man d’Aaron Schimberg, comédie noire grinçante où un acteur débutant, défiguré par la maladie, fait appel à la chirurgie esthétique pour changer de visage, ce qui modifie le regard des autres mais fausse sa perception de lui. Pour ce rôle, Sebastian Stan a obtenu  l’Ours d’argent du meilleur acteur à la Berlinale. On verra bientôt Stan, qui aime les performances, dans le rôle de Donald Trump jeune dans The Apprentice (présenté cette année à Cannes) ; Stan a confié être intéressé de tourner à l’avenir avec des réalisateurs roumains comme Christian Mungiu. Le film sort le 9 octobre 2023. Pas encore de date de sortie française pour A Different man.

A Different man

Parmi les nombreuses avant-premières, un film m’a éblouie : Parthenope de Paolo Sorrentino, présenté en sélection à Cannes cette année sans avoir, visiblement, frappé la critique sur place, bien au contraire , pas plus qu’à Deauville (pire, on n’en a pas parlé). Parthenope est une somptueuse fresque de la ville de Naples et un portrait d’une femme libre (des années 60 à nos jours), une femme aussi belle que Naples (sa ville natale) dans le regard de Sorrentino. Une beauté insolente qui lui vaudra toutes les facilités dans sa jeunesse (on aborde ici l’injustice de la beauté, don des dieux, jusqu’à ce que la vieillesse reprenne cruellement cet atout majeur aux intéressés, ici, Parthenope âgée est interprétée par Stefania Sandrelli, au charme inchangé, qu’on voit très peu). Le film s’attarde sur les années 70 et 80 qu’il balaye sur fond des beautés d’un Naples souvent confidentiel (pas encore envahi par le tourisme), avec une délectation partagée par les spectateurs comme moi qui ont connu cette époque. La liberté, l’insouciance, voire l’inconscience de ces années libres, pas encore infiltrées par la peur de tout, des années au présent sans préoccupation réelle de l’avenir, trop lointain pour y penser, le frère de Parthénope qui fumait même dans l’eau en se baignant étant le meilleur exemple de l’ambiance insouciante de cette époque révolue… Ici, la nostalgie est heureuse, le réalisateur se souvient d’un passé sans doute imparfait devenu dans le souvenir un superbe paradis perdu. Néanmoins, la tragédie de la mort du frère de Parthénope signe la fin de l’insouciance ; malgré sa beauté, Parthénope va errer, trouver un sens à la vie dans ses études, pas très intéressée par les relations amoureuses, plutôt par celles ambiguës qu’elle noue avec son prof d’anthropologie, son mentor, ou avec un drôle d’eclésiastique. Soudain, P prend sa retraite, la vie est passée comme un long sommeil, un enterrement progressif et insidieux de la jeunesse..

Le film sort le 8 janvier 2025

Parthenope

 

Le Festival américain de Deauville déploie de nombreux types de mise en lumière d’acteurs : les hommages, comme à Michael Douglas, Prix d’honneur du 55° anniversaire, en ouverture, un fidèle du festival (il y a rencontré son épouse, Catherine Zeta-jones), les Prix Nouvel Hollywood (vus plus haut), les Focus sur des réalisateurs (cette année James Gray, une Masterclass, une rétrospective de tous ses films, et Sean Baker, vu plus haut) et les Deauville talent awards sont décernés à des stars confirmées, cette année les actrices Michelle Williams et Natalie Portman. Michelle Williams est une actrice adorée des cinéphiles, pouvant tout jouer, et elle ne se prive pas de changer d’emplois et d’apparence, révélée au grand public par Brokeback mountain, on peut citer aussi Manchester by the sea, Shutter island, My week with Marilyn, The Fabelsmans… Discrète, on la voit peu dans les médias, et elle reçu son prix dans une robe superbe mais sans ostentation et avec un peu de timidité sous les projecteurs. Ainsi, Natalie Portman, en curieuse robe noir et argentée Dior à manches ballon (elle est l’égérie d’un de leurs parfums), n’est pas moins discrète dans la vie malgré son parcours d’exception, venue recevoir son DTA qu’elle aurait dû recevoir l’année dernière lors de la projection de May, December de Todd Haynes (comme suite à la grève des acteurs à Hollywood, elle était absente). Accumulant les rôles depuis l’age de 13 ans (Léon), alternant films de studios et films d’auteurs (de Heat à Black swan en passant par Jackie), elle est diplômée de Harvard en psychologie, milite pour de nombreuses associations (de lutte contre la souffrance animale, par exemple), et a réalisé un film qui lui tenait particulièrement à coeur, Une Histoire d’amour et de ténèbres d’après le roman culte d’Amos Oz (très beau film). C’est ce que lui a dit en substance Isabelle Adjani, venue pour lui remettre son prix, admirative de son parcours. On peut la voir en ce moment dans sa première série, La Voix du lac (Apple TV). Les deux femmes ont multiplié les marques d’estime, un peu trop, sans doute, s’embrassant les mains mais c’était néanmoins un moment rare, les festivaliers ne s’attendant pas à voir Adjani, la star mystérieuse, l’insaisissable, en superbe smoking noir et lunettes de vue sur la scène du Centre International de Deauville (CID)…

des photos CNM bientôt sur mon compte Instagram @blogcinemaniac,

photo principale (Le Public Systeme pour le Festival de Deauville 2024)

 

PALMARÈS

Les deux jurys ont primé le même film, In the summers d’Alessandra Lacorazza. J’ai été pour le moins étonnée car jamais je n’aurais pronostiqué que ce film glanerait un prix… Deux nouveaux prix ont été créés pour ce 50° anniversaire : le Prix Barrière, sponsor du festival depuis le début, qui a choisi La Cocina d’Alonso Ruizpalacios, film choral sociétal (se passant dans un restaurant de Manhattan à l’heure du rush du déjeuner), plutôt sympathique, rythmé et bien interprété, dénonçant les conditions des travailleurs latinos en Amérique. Enfin, le prix CanalPlus, redevenu partenaire du Festival américain après des années d’absence a choisi The School duel de Todd Wiseman (une dystopie sur la violence et les tueries de masse dans les écoles, je ne l’ai pas vu mais ça a l’air très intéressant).

Comme chaque année, le Prix d’Ornano-Valenti  est attribué par avance à un premier film français:

Rabia de Mareike Engelhardt. Le film sort le 27 novembre 2024. Pré-attribué aussi du Prix littéraire Lucien Barrière dont le lauréat pour l’année 2024 est le roman Bien-être de Nathan Hill, un livre remarquable, intelligent et original à bien des égards, j’y reviendrai… Déjà paru (chez Gallimard).

Bien-être, photo Gallimard

In the summers

Grand prix et Prix de la révélation

Pas encore de date de sortie

 

The Knife 

Prix du jury

Pas encore de date de sortie

 

La Cocina

Prix Barrière du 50° anniversaire (prix nouveau)

Pas encore de date de sortie

 

The Stranger’s case

Prix du public de la ville de Deauville

Pas encore de date de sortie

 

Color book

Prix de la critique (décerné par un jury de critiques)

Pas encore de date de sortie

 

The School duel 

Prix CanalPlus du 50° anniversaire (décerné par 5 abonnés choisis sur leur critique d’un film en vidéo)

Pas encore de date de sortie

 

 

 

 

 

Et aussi

In the summers (Alessandra Lacorazza)

Grand Prix et le Prix Révélation du second jury. Jamais je n’aurais parié sur ce film…

La bonne idée du film, ce sont ces quatre étés où deux soeurs, Violeta et Ana, vont voir leur père, Vicente. Un père défaillant qui essaie de réparer les erreurs d’un passé qu’on suppose violent ; un père qui tente de faire de leur séjour un moment artificiellement merveilleux, ce dont les deux soeurs, blasées et blessées ou méfiantes, rancunières, n’ont pas grand chose à faire, peinant à cacher leur mépris pour cet homme défaillant. Ces étés, sur une période de vingt ans (on ne montre pas tous les étés, on saute des étapes) sont pourtant l’occasion pour les deux soeurs de s’affirmer en tant que futures femmes. Le temps passe et Vicente, malgré son instabilité et ses faibles ressources, s’est remarié, a eu un autre enfant…

In the summers fait un peu penser à Aftersun (film surcôté et maniéré, présenté à la Semaine de la critique à Cannes en 2022, qui avait emballé la critique et pas mal de spectateurs). Une fille se remémorant, vingt ans plus tard, ses vacances avec son père, disparu depuis. Le filtre réconciliateur de la mémoire… Le pardon, le deuil de l’enfance…

Ce film n’a pas encore de distributeur en France, ce qui ne saurait tarder compte tenu de sa mise en lumière à Deauville (il avait été présenté au festival de Tribeca).

In the summers

La Cocina (Alonso Ruizpalacios)

Prix Barrière du 55° anniversaire.

Film choral sociétal, le film se passe pendant le rush du Grill, un restaurant animé de Manhattan. Le seul événement est cet argent qui disparait subitement dans la caisse, ce qui n’est pas le sujet du film qui dénonce la difficulté d’intégration des travailleurs sans papiers, en quête d’un visa, ou précaires, venus tenter leur chance à NY, essorés par des patrons américains (qui l’ont été aussi eux-mêmes dans le passé), trouvant là des employés bon marché. Une série de jeunes gens, espérant accéder au rêve américain, défile dans les sous-sols du restaurant dont cette jeune femme débarquée au début du film qui ne parle pas un mot d’anglais. Sur ce fond, quelques situations, assez archétypales, émergent, surtout deux personnages, Pedro et Stella (Rooney Mara) qui vont vivre une histoire d’amour assez touchante car condamnée d’avance.

Les images d’un NY sinistre sous la neige, ces cigarettes qu’on fume pendant les pauses entre deux pâtés de maisons en brique rouge lugubres, et le rythme effréné du restaurant, la fatigue des employés, sont très crédibles. Le choix du noir et blanc se conçoit correspondant à l’invisibilité de personnes anonymes, peinant à exister, confinées dans les cuisines, tandis qu’à l’étage, on se détend, on s’offre un bon repas. Le choix avisé de filmer les cuisines, en sous-sol, va dans le même sens de « gens sans importance ». Cependant, le scénario est mince et le film trop long (2h20).

Le film La Cocina est adapté d’une pièce de théâtre (The Kitchen) avec son unité de lieu et de temps.

LA COCINA

 

Notre note

3.5 out of 5 stars (3,5 / 5)

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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