« Shokuzai » : thriller psy brillantissime en 2 parties

15° AFF Deauville, Kiyoshi Kurosawa, sortie 29 mai et 5 juin 2013

Pitch

Dans une école de province au Japon, 4 élèves assistent à l'enlèvement de leur amie, retrouvée ensuite assassinée et violée. La mère de la victime leur demande d'expier chacune à leur manière. 15 ans après, 4 jeunes femmes, 4 portraits.

Avant le générique de « Shokuzai » (« celles qui voulaient se souvenir ») partie 1, le meurtre originel. Une élève arrive en classe après la rentrée scolaire, c’est Emili Adachi, la future victime, la fille d’un riche industriel, qui se lie d’amitié avec quatre de ses camaradess ; ces dernières envient son aisance et l’élégance de sa mère, la différence de statut social est posée (on devine immédiatement qu’Emili va mourir, est-ce que parce qu’on la jalousait?) Un détail avant le meurtre d’Emili, la disparition des poupées françaises que possèdaient chacune des fillettes…  Peu après, les 5 fillettes jouent dans la cour, de dos, un individu demande à ce qu’une des filles vienne l’aider, on ne verra évidemment que sa silhouette, son dos, on entendra sa voix. Finalement, l’homme désigne Emili, les quatre fillettes (Sae, Maki, Akiko et Yuka) restent coites. Plus tard dans la journée, on retrouve le cadavre d’Emili dans le gymnase de l’école. Ce début n’est pas sans rappeler le terrible premier chapitre de « Mystic river », ce petit garçon qui est choisi par un pédophile qui va le torturer plutôt que les deux autres, ses copains, pourquoi lui (le poignant regard de la victime derrière la vitre arrière de la voiture pressentant la suite)?
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Mais revenons à « Shokuzai » qui veut dire « expiation » en japonais. Asako, la mère d’Emili, accablée que les quatre fillettes, qui ont vu le visage du tueur, aient prétendu ne pas s’en souvenir, les convoque 6 mois plus tard, les menace « je ne vous pardonnerai jamais », leur demande d’expier à leur manière et de lui donner des indices sur l’assassin de sa fille. 15 ans plus tard, les quatres fillettes sont devenues des jeunes femmes. Dans la partie 1 « Celles qui voulaient se souvenir », on fera le portrait de Sae, esthéticienne médicale, et de Maki, institutrice. Dans la partie 2 « Celles qui voulaient oublier », le portrait de Akiko, emprisonnée pour le meurtre de son frère, et Yuka, la fleuriste vénale. Si les trois premières sont complètement traumatisées par la culpabilité qu’elles auraient pu empêcher la mort d’Emili, la quatrième, plus délurée, plus égoiste, s’en sortira nettement mieux. Mais toutes vont commettre un meurtre…

Le film est découpée en 5 parties, outre le prologue, car il existe une dernière partie dénommé « rédemption » (ce qui n’est pas tout à fait exact et contredit le titre général que le réalisateur n’aimait pas non plus mais le film est adapté du roman éponyme « Shokuzai »).


photo Version Orginale/Condor

L’histoire de Sae est certainement la plus forte. Restée mentalement enfant dans un corps d’adulte, Sae, à la manière de Marnie chez Hitchcock, refuse toute relation avec les hommes. Demandée en mariage par l’héritier d’un laboratoire pharmaceutique, jeune homme neurasthénique, efféminé, effrayant, Sae, comprenant qu’il lui propose un mariage blanc, qui lui épargnera toute relation sexuelle, accepte… Toujours comme Marnie qui ne peut pas voir de rouge sans tourner de l’oeil, Sae va être condamnée par le rouge du sang des menstruations qu’elle n’avait jamais connues.
Maki, l’institutrice, fuit les hommes autant que Sae, mais dans un autre registre. Enseignante dans une école identique à celle où fut jadis assassinée son amie Emili, elle suspecte partout des comportements pervers comme cette barrette d’une élève confisquée car trop sexy pour une enfant. Pratiquant les arts martiaux pour faire ce qu’elle n’a pas fait quinze ans auparavant, c’est à dire, éloigner le tueur (si par hasard un tueur d’enfant se présentait dans son école), cela va la conduire au drame.

Akiko ne fonctionne pas différemment, refusant tout attribut de féminité, habillée comme un sac, elle refuse de mettre une robe, de se maquiller. Car c’est une robe offerte par sa tante, il y a quinze ans, que sa mère avait tellement peur qu’elle abime (la dénigrant, comme d’habitude), qui, d’après elle, l’a empêchée de courir sauver Emili. Emprisonnée pour le meurtre de son frère, Akako a voulu défendre une fillette, la fille de sa belle-soeur, soit la belle-fille de son frère qu’elle soupçonne de pédophilie, se rachetant ainsi de n’avoir pas pu sauver Emili autrefois.

Yuka est bien différente, revenue dans la ville de province de son enfance, elle a ouvert une boutique de fleuriste avec l’argent d’un amant marié. Sa soeur ayant épousé un homme qu’elle aimait adolescente, un policier, Yuka va le séduire et attendre un enfant de lui. Des quatre jeunes femmes, Yuka est la seule à assumer sa sexualité et son pouvoir de séduction. Quand Asako Adachi, la mère d’Emili, qui ira revoir les ex-camarades de classe de sa fille les unes après les autres au fil des portraits de femmes 15 ans après (Sae, Maki, Akako), viendra contacter Yuka, ce sera la seule à la rabrouer, à essayer de monayer ses infos sur l’assasin d’Emili.

De surcroît, dans cette histoire, rode le fantôme vivant de Asako, la mère d’Emili, qui n’oublie rien bien qu’elle ait eu tardivement un fils avec son mari. Très difficile d’en dire plus. 


photo Version Orginale/Condor

Les trois premières jeunes femmes, Sae, Mako et Akiko, non seulement refusent toute sexualité suite au traumatisme du viol et meurtre d’Emili, quinze ans auparavant, mais encore, minées par la culpabilité de ne pas avoir sauvé leur amie, vont pratiquer, adultes, l’annulation rétro-active, procédé psychologique par lequel on commet un acte censé effacer le précédent (on fait après, dans d’autres circonstances semblables, ce qu’on aurait « dû faire » avant). La démarche d’Asako, la mère, est plus classique, elle fonctionne dans l’énergie de la vengeance, bien qu’on verra, in fine, qu’elle n’est pas exemptée de culpabilité, elle non plus.
 


photo Version Orginale/Condor

La première partie du film, magnifique, est hyper-captivante, dans la salle du CID à Deauville, un silence… de mort… La seconde partie, en revanche, est un peu moins choc, la faute peut-être à cette idée de la programmation de passer le second volet après 1h30 d’interruption pour déjeuner… Mais pas seulement… L’histoire basculant dans une histoire bis au moins aussi tragique, 25 ans auparavant, le raccord final avec l’ensemble est un peu laborieux… Mais n’oublions pas qu’au départ, ce film a été présenté au Japon comme une mini-série de presque 5 heures (119 mn +148 mn) et dans les séries, il est fréquent qu’il y ait des translations d’une histoire à une autre (s’y raccordant), la seconde supplantant peu à peu la première. Bon! Il fallait bien trouver un petit bémol, pour le reste, c’est brillantissime, la mise en scène, les acteurs, le suspense (la tension permanente des deux premières heures est assez exceptionnelle).
Il y a du Hitchcock dans ce film, période psy, c’est certains, ces héroïnes névrosées qui fuient les hommes à cause d’un traumatisme ancien refoulé, la plus proche étant celle de « Pas de printemps pour Marnie ». Si, comme je le disais au début, le prologue m’a fait penser au début poignant de « Mystic river » (je ne peux pas le revoir sans avoir l’estomac noué), l’épilogue, par son portrait de femme au passé trop lourd et occulté, traînant derrière elle le souvenir d’un amour fou non partagé, ressemble un peu celui de l’héroïne du film de Brisseau « L’Ange noir », lui-même inspiré de « The Letter » (1940) de William Wyler avec Bette Davis (j’ai vu ce film par hasard une nuit sur le câble, il y a quelques années, et j’ai été sidérée de reconnaître le scénarion de « L’Ange noir »).

Donc! Il faut aller voir ce film « par tous les moyens », c’est une expérience unique jubilatoire et pour les amateurs des thrillers noirs, c’est le paradis sur mesure! Ne surtout pas se laisser impressionner par la longueur théorique du film, on ne s’en aperçoit pas, je serais bien restée encore deux heures sup et je regrette qu’on ait pas passé l’intégrale sans autre interruption que 10 ou 15 mn, après le déjeuner, des spectateurs sont revenus en retard, qui bavardaient, bon! ça n’a pas duré mais la coupure de 1h30 m’a quand même un poil grignoté le beau crescendo de l’intensité dramatique…

Film en sélection officielle à Venise, Toronto 2012 et Deauville Asie 2013.

 

PS. Je viens de lire que le film sortira en France en deux parties à deux dates différentes (29 mai et 5 juin), c’est vraiment peu courageux de la part du distributeur mais c’est sans doute aussi pour vendre deux tickets de cinéma au lien d’un aux spectateurs…


Maki, Sae, Asako, Yuka, Akiko

 

Notre note

5 out of 5 stars (5 / 5)

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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