Jeanne Moreau à la Cinémathèque : "Rien n'est perdu"

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Quand Jeanne Moreau est arrivée, vêtue dun jean délavé et dune veste blanche, chaussons blanc aux pieds, la salle a applaudit et elle aussi, joyeuse, vivante, le ton était donné. Au deux intervenants, on a adjoint le biographe de Jeanne Moreau, assis discrètement au fond de la salle et sommé de rejoindre le trio sur scène, sa présence va servir dagenda sur 60 ans de carrière quil connaît mieux que lintéressée ! Beaucoup de généralités sur le métier dacteur et son intrication avec la vie privée, pour Jeanne Moreau, cest de la vie totale quil sagit sans frontière métier dactrice et vie réelle, elle préfère actrice que comédienne, acter, agir. Dans les questions qui suivront la rencontre à proprement parler, on creusera davantage certains sujets : sa relation avec Truffaut, par exemple, un jeune homme de 15 ans lui demande clairement si elle a eu une aventure avec lui, elle répond non, oui et non, elle a eu une relation très fusionnelle avec lui. Auparavant, elle a parlé de son expérience en tant que réalisatrice, du temps de son mariage américain (avec Friedkin mais elle ne le cite pas), Truffaut la mal pris, il la voulait actrice, diva, devant et pas derrière la caméra, il a profité dune histoire idiote de livre prêté, pas rendu, pour se fâcher avec elle pendant des années. Louis Malle, le grand amour de sa vie, elle y pense encore aujourdhui, elle provoque Serge Toubiana, directeur de la cinémathèque, qui mène le débat avec son aisance habituelle : « pourquoi on na jamais accepté Louis (Malle) dans la Nouvelle vague? », Toubiana, longtemps aux Cahiers du cinéma, ne louvoie pas : parce quil ne faisait pas partie de la bande des Cahiers comme Truffaut, Godard, Rivette, etc (On ne dit pas que cétait aussi parce que Louis Malle était tellement plus riche que tout le monde, issu dun famille de grands industriels possédant, en autres, les sucres Beghin).
Jouvre une parenthèse car je viens de voir Jeanne Moreau allant faire la promo du dernier téléfilm de Josée Dayan chez Ruquier (« Sous les vents de Neptune » le 15 et le 22 février sur France 2, daprès un livre de Fred Vargas), elle a réaffirmé ce quelle a dit à la cinémathèque et toutes ses réponses vont dans ce sens : vivre au présent, balayant dans lémission un peu tout ce qui était lui était rappelé de son passé, oui, ça lui faisait plaisir sur le moment, c’est un peu ce genre de réponses qu’elle a faites à l’animateur. Mais que Ruquier savise de passer un extrait dune émission ancienne de Louis Malle parlant de Jeanne Moreau et Brigitte Bardot dans « Viva Maria » au moment du tournage et le passé la submerge, cest lexception, son regard sembue. Un tournage avec des hauts et des bas, on lavait fâchée avec Brigitte, elle a été mise à lécart, elle en a souffert.

Retour à la cinémathèque. On est revenu plusieurs fois sur son tournage de « La Notte » avec Antonioni, une question ly ramène, elle a expliqué avec lucidité que le thème de lincommunicabilité entre un homme et une femme collait à lépoque alors quaujourdhui des problèmes plus graves ont pris le pas sur lactualité. (elle ne dit rien sur Antonioni mais elle en avait parlé longuement lors dune projection spéciale de La Notte au festival du cinéma italien lannée dernière, voir le billet sur cette soirée)La question que va poser un spectateur mintéresse vivement : au sujet de « La Baie des anges » de Jacques Demy, un film que je rêve de voir depuis toujours (programmé jeudi 14 février à la cinémathèque dans la rétrospective Jeanne Moreau). Comment Demy dirigeait-il ses acteurs ? Au début de la rencontre, elle a affirmé quun grand réalisateur ne dirige pas ses acteurs, en deux mots, il les plonge dans une ambiance, souvent mentalement parlant. Chez Demy, cest le script qui lui a tout apporté, les indications sur la voix, la démarche, les pauses. Elle prend lexemple de Proust dont elle se rend compte en le lisant, en observant sa ponctuation, ses phrases longues, que cest là lécriture dun asthmatique. Pour Demy, cest pareil, il faut respecter chaque point, chaque virgule, tout est écrit. Et de tacler au passage les acteurs qui préfèrent changer le texte parce quils le « sentent » mieux Une question posée sur une pièce quelle a jouée autrefois, « La Servante servile », est du même tonneau : le metteur en scène ne disait rien que des stops, des remises en cause, il lui fallait alors trouver la solution elle-même, il la fait considérablement progresser, passer sur une autre rive de linterprétation, dailleurs, elle a conservé une lettre de quelquun qui lui a écrit ensuite quil lui avait servi danalyste, sen était-elle rendu compte
Reviendra-t-elle au théâtre elle qui a débuté à la Comédie française, cest en la voyant jouer sur scène quOrson Welles la invitée à dîner, quils sont devenus amis Oui, elle jouera à partir du 20 mai au théâtre une pièce avec Sami Frey et le 10 mai, elle sera de la fête de mai 68 à lOdéon si jai bien compris.


Jeanne Moreau et Serge Toubiana

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