Une Saison pour les ombres

Une Saison pour les ombres : seule, la douleur…

R.J. Ellory, 5 janvier 2022

Pitch

Son frère arrêté pour homicide, Jack revient, après 20 ans d’absence, dans la ville glacée de son enfance qu’il avait fuie.

Notes

 

«Et le passé est un pays qui a sa langue à lui, une langue que la plupart apprennent à oublier. Les mots de cette langue sont comme des chansons apprises par cœur. Au moindre rappel, elles reviennent et la mélodie est aussi familière, aussi obsédante que jamais.»

Je suis R.J. Ellory, livre après livre, depuis son premier livre, Seul le silence, un chef d’œuvre en plein cœur. L’auteur n’est jamais là où on l’attend, tous ses livres ont des sujets, des univers différents, tous sont passionnants et tellement bien écrits.

La première phrase du livre d’Une Saison pour les ombres vous interpelle au plus profond de soi :

«On est tous brisés, quoique chacun à un endroit différent »

(« Each and every one of us is broken, though not in the same places. »

N’ayant pas pu résister avant la sortie du livre en français, je l’avais acheté vers Noël en version originale (The Darkest season) et, sans être un expert en anglais, je ne comprends pas bien pourquoi le traducteur a remplacé le pluriel par un singulier : Tout le monde est brisé, quoiqu’à des endroits différents, avait écrit l’auteur…

Mon premier livre 2023 dont je pressens qu’il sera mon préféré. En trois pages, j’avais compris la puissance du livre, la force de l’émotion qu’il allait déclencher.

La noirceur absolue et l’humanité, malgré tout. Le poids déterminant du passé dont on ne se déleste jamais, qu’on emmène partout avec soi, même si refoulé. Ces tentatives vouées à l’échec de renier son enfance pour se soustraire aux souvenirs traumatiques s’y rattachant.

Jasperville, surnommée Despairville, cité minière au bout du monde, au fin fond de nulle part… Un magasin général, une pension, une école une église, une antenne de police. Et la mine dévorante. Tous y travaillent ou travaillent pour ceux qui y triment. Hivers interminables où remonter la rue principale est déjà une épreuve. Étés au soleil pâle et ras avec cet air irrespirable infestés de moustiques… 

Analyse sociétale de l’Amérique oubliée, celle où on ne va jamais ;  familles à la solde d’une compagnie de mines d’acier qui accueille à Jasperville ceux qui espèrent pouvoir s’offrir plus tard, à eux et leurs enfants, une vie matérielle plus confortable, ailleurs… Sauf que de Jasperville, ils n’en partiront pas, victimes de l’hostilité de la nature, englués dans la glace et la boue, figés par l’obscurité et le silence.

En 1972, un crime atroce fut commis, Lisette Roy, 17 ans, dont les parents tenaient la pension de famille. Puis un autre corps fut retrouvé… 7 crimes allient être commis selon le même rituel dont la police locale et la population peinaient à présent à se persuader qu’il s’agissait d’une attaque animale d’un loup égaré ou d’un ours affamé. Toutes étaient des jeunes filles qui n’avaient pas 20 ans… Les crimes ayant cessé dans les années 90, l’oubli fit son œuvre d’autant que la vie au nord-est gelé du Canada n’était pas facile.

La famille Bergeron succéda aux Roy à la pension. Madame Bergeron se lia d’amitié avec la mère de Jack. Les deux familles devinrent amies, inséparables. Jusqu’à l’impensable : l’assassinat de Thérèse Bergeron, la sœur de Carine, l’alter ego de Jack.

Jack Devereaux, 19 ans, partit, il y a plus de 20 ans, fuyant la folie insidieuse qui s’était immiscée dans Jasperville, jusque dans sa famille. Jack avait fui pour sa survie. Reniant la promesse faite à Carine de venir la chercher. Abandonnant Calvis, son petit frère, en proie aux colères alcoolisées de leur père, Henri Devereaux.

Quand, en 1969, Henri Devereaux, avait emmené sa famille, sa femme Elisabeth, son beau-père et deux premiers enfants, Jack et Juliette, à Jasperville, comme les autres, il avait espéré pouvoir leur offrir une vie meilleure. Il travailla comme un forcené et fut bientôt promu à la compagnie Canada Iron. Sa femme, enceinte, accoucha de Calvis, le petit frère.

Installé à Montréal, Jack avait cru refaire sa vie : agent d’assurances avisé, muet sur son passé occulté, partageant peu avec avec des compagnes mal aimées qui ne savaient rien de lui.

Jusqu’à ce que la police lui téléphone : Son frère Calvis en garde à vue à Jasperville, accusé d’homicide volontaire sur un homme, inconnu de Jack, employé, comme tous, de la compagnie minière, dont son frère cadet s’était persuadé qu’il était ce serial killer qui avait sévi pendant 20 ans à Jasperville et dans les villes avoisinantes.

 

 

 

 

 

Et aussi

Une saison pour les ombres (The Darkest season) est d’une noirceur glacée et d’un pouvoir émotionnel rares. Au delà du thriller, R.J. Ellory explore les mécanismes de la mémoire occultée, l’immense pouvoir évocateur des lieux, le lien indéfectible noué avec le lieu originel, fut-il pavé de démons, de fantômes, celui de l’enfance avec quelques fulgurances de bonheur familial, des espérances propres à l’adolescence.

Avant même que le train ne stoppe en gare de Jasperville, mentalement, Jack y était déjà, le froid polaire, le silence et la nuit omniprésents, ne l’avaient jamais vraiment quitté, et, il y retournait, se résignant à être englouti par le passé obsédant.

Le roman alterne le passé et le présent, chapitre à chapitre jusqu’à ce que les deux époques fusionnent.

Dans la veine du livre qui l’avait fait connaître au grand public, Seul le silence, l’auteur signe là avec Une Saison pour les ombres un de ses plus beaux livres, immergeant le lecteur dans les profondeurs de l’âme humaine, dans le froid désolant de Jasperville, dans l’intimité de cette enfance douloureuse dont on ne revient jamais.

Superbe.💔

Notre note

5 out of 5 stars (5 / 5)

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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