«Les Enfants de la nuit» : l’apprentissage précoce
Pitch
L’adolescence d’Eva Ionesco et de sa bande d’amis dans le Paris noctambule sans tabous des années 70/80.
Notes
Second volet d’une trilogie, après l’enfance dans «Innocence», c’est l’adolescence que décrit l’auteure dans «Les Enfants de la nuit».
Le livre d’Eva Ionesco suppose qu’on s’y immerge dès les premières pages car elle décrit un monde flou de défonce, de misère affective et de fêtes quotidiennes. Mais quelle plume! J’adore son style réaliste et poétique. Son histoire tragique (son premier livre l’était davantage) est à la fois poignante et fascinante.
L’auteure raconte une époque révolue (fin 70/début 80) à hauteur de l’enfant de 11 a 13 ans qu’elle était, et, surtout, elle restitue les sensations d’une époque festive et désemparée à travers le prisme des drogues que tout ce microcosme oisif et festif consommait.
Ce livre est aussi une déclaration d’amour à Christian (Louboutin), son meilleur ami, il a 13 ans, elle, 11, 5 ans, quand ils font connaissance. Bien qu’il préfère les hommes, elle l’aime, il la protège en retour. Amitié fusionnelle, exigeante.
Après les incursions au Sept (célèbre club gay de la rue Saint Anne), à la Main bleue (à Montreuil), ce sont les années Palace, cet ancien théâtre dont le propriétaire, Fabrice Emaer, ambitionnait de faire mieux que le Studio 54 à New York. On y rencontre Yves Saint Laurent et sa bande (Loulou de La Falaise et Thadée Klossowski, le fils du peintre Balthus, etc.), Karl Lagerfeld et Jacques de Bascher, Kenzo et Xavier de Castella. Mais, également, Mick Jagger et Jerry Hall, Diane de Beauveau-Craon, etc. Omniprésent, Alain Pacadis, seul, défoncé, déprimé, chroniqueur mondain et crade de Libé, il finira assassiné par un amant de passage.
Au Palace, il y a, sous l’égide de la belle et mystérieuse Edwige, ces fêtes décadentes restées célèbres comme la fête Vices&Versa où les femmes doivent arriver déguisées en hommes et vice-versa. Tous ces personnages, qui s’animent la nuit, passent leurs journées sous le signe de l’errance, d’un bar à l’autre, de Montmartre à Montparnasse, d’un studio minable à un appartement chic. Leur préoccupation : se demander ce qu’ils porteront comme vêtements ce soir, à quelle soirée ils s’incrusteront.
Et, dans l’ombre, Irène (Ionesco), la mère monstrueuse d’Eva (qui la fait poser nue depuis l’âge de 4 ans pour des photos pornographiques, la vend pour un WE chez des collectionneurs pédophiles, lui fait tourner des films classés X…).
Le portrait d’Irène et l’enfance d’Eva étaient le sujet du premier roman d’Eva Ionesco («Innocence»). Ici, plane, comme une épée de Damoclès, l’inspection des services de l’enfance dans l’appartement glauque et sombre d’Irène, la menace du placement d’Eva en famille d’accueil.
Ce roman excelle dans la retranscription des sensations, de l’humeur et du rythme qu’avaient les protagonistes du récit dans leur jeunesse. Mais comment fait l’auteure pour écrire comme on revoit le film de son adolescence, comme on ressent ce qu’on ressentait 40 ans plus tôt? Quel talent!
Et aussi
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Diffusion
LES ENFANTS DE LA NUIT
EVA IONESCO
Parution février 2022
GRASSET
Notre note
(4,5 / 5)
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