
« L’attente » (« L’attesa ») : l’insupportable vérité

Pitch
A l'invitation de son petit ami, Jeanne débarque en Sicile dans sa magnifique maison familiale. Mais le jeune homme est absent et sa mère, Anna, dévastée par un chagrin muet. Néanmoins, les deux femmes l'attendent...
Notes
Anna, qu’on devine dévastée par un deuil, passe ses journées couchée, enfermée chez elle. La Sicile aussi austère que magnifique et conventionnelle. Dans la maison aux volets clos, carrelages ressemblant à des fresques, meubles sombres et pénombre, la grande maison est plongée dans la léthargie interrompue par un défilé muet de visites de deuil et, puis, rien sauf… Jeanne, la petite amie de Giuseppe, le fils d’Anna. Jeanne, anxieuse que Giuseppe lui en veuille encore pour des souvenirs lourds de l’été dernier mais qui pourtant l’a invitée à venir chez lui en Sicile. Pour lui dire qu’il lui a pardonné, a pensé Jeanne. Incapable de la recevoir à son arrivée, Anna ne rencontre Jeanne que le lendemain, ne parlant que de banalités. Ensuite, elle informera Jeanne que son frère vient de mourir subitement.
La situation évolue alors par l’entremise du non dit des deux partis, Jeanne réécoutant les messages de Giuseppe sur son téléphone portable, Anna feignant de ne pas savoir quand son fils reviendra. Jeanne, dubitative mais n’osant poser de questions, Anna tentée parler, parfois. Mais, peu à peu, les deux femmes en viennent à partager l’attente de Giuseppe, la première entraînant la seconde, devenue consentante, dans un monde irrationnel de possible qu’il revienne tant que rien ne sera verbalisé.
Au delà du travail de deuil, les deux femmes partagent le souvenir du même homme qui dans le souvenir est vivant. On peut dire qu’elles s’épaulent d’une certaine façon dans ce déni partagé.
"l'Attente" d'après Pirandello reprend son thème essentiel de la vérité comme on choisit/peut la percevoir, film sophistiqué avec J.Binoche
— Camille M,Cinémaniac (@Cine_maniac) October 22, 2015
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Et aussi
En fait, si je n'avais pas lu sur le générique que ce film était tiré de Pirandello* (deux nouvelles mixées aux souvenirs du réalisateur), je m'en serais tenu là dans l'analyse de la situation. Mais il est évident qu'on retrouve le thème majeur Pirandellien de la subjectivité, de la réalité telle qu'on la perçoit, des petits arrangements avec la vérité, ce qu'on peut en supporter, la distorsion de la vérité, celle niée, celle rêvée, car il n'y a pas de vérité mais des vérités, "A chacun sa vérité"*... Le film est excessivement esthétisant, incessants plans genre tableaux vivants des objets, des lieux, le visage de Binoche au centre d'un écran quasiment noir, etc... ce qui nuit à l'émotion, tout comme Anna/Juliette Binoche, figée comme une statue dans une douleur paralysante, sa peau, ses expressions de souffrance, ses déplacements pour exécuter les gestes les plus banals scrutés à la loupe ; le film semble être fait pour elle, un écrin trop sophistiqué pour ce portrait de femme en deuil. Une seule scène émerge, à table, un soir, les deux femmes boivent et Anna oublie quelques instants la réalité et se met à rire, ce rire puissant et populaire de Juliette Binoche qui a toujours contrasté avec son attitude raffinée, Jeanne (Lou de Laâge) rit aussi, le fantôme de Giuseppe semble invité aussi table avec elles, heureuses. Par ailleurs, réalisateur aurait pu aller beaucoup plus loin, sans aller jusqu'à "Cérémonie secrète" de Losey où une jeune orpheline névropathe choisit une femme prostituée pour jouer le rôle de sa mère afin de nier sa disparition (le film est en fait beaucoup plus complexe que cela), on aurait pu imaginer les deux femmes vivre ensemble, emmurées dans une éternelle attente, car la dimension névrosée des personnages qui fait cruellement défaut pour donner un peu de chair tourmentée à cette histoire, tout est trop raisonnable et embelli, en vérité. «L’Attesa», de Piero Messina, avec Juliette Binoche, Lou de Laâge. 1h40. En compétition à la dernière Mostra de Venise. post du 26 octobre 2015
Notre note
(3 / 5)
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