« Malamorte » : les dessous noirs de l’Ile de Beauté

focus livres Antoine Albertini, parution 2 mai 2019

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«...La fièvre immobilière avait eu raison des derniers lambeaux de conscience de cette île... ».

Dès la première page tout ou presque est dit... 

Un flic brillant qui a voulu rentrer à Bastia, la ville de son enfance, stupéfait par le changement de l’île qu’il a connue autrefois, par la main-mise depuis 30 ans des truands de la bande de La Battue, notamment sur l’immobilier, n’a pas joué le jeu de faire semblant de ne rien voir, de laisser faire. Sous le prétexte d’un mot de trop, d’une dispute stupide, il a été mis à l’écart. Il végète à présent dans un placard nommé bureau des homicides simples, traitant des affaires sordides dont personne n’a envie de s’occuper. Et pourtant ces affaires peuvent se révéler à tiroirs... 

Appelé en urgence au lotissement de l’Albatros, un de ces nombreux complexes immobiliers bon marché qui désormais ont envahi, pour ne pas dire asphyxié l’île, un homme a tué sa femme et sa fille et s’est raté en voulant retourner l’arme sur lui. Un carnage. L’homme a été transporté à l’hôpital. Il s’agit d’un certain Mohamed Cherkaoui, de sa femme, Samia, et de sa fillette Lia. Naturellement, personne dans La résidence de l’Albatros n’a rien entendu, la télévision trop forte, et personne n’a rien vu non plus, l’inspecteur a l’habitude. Il s’avèrera bien plus plus tard, lors de l’enquête, que Cherkaoui avait étrangement des relations avec le plus gros promoteur immobilier de la région. 

Parallèlement, l’inspecteur (dont on ne connaîtra jamais le nom tant il n’existe plus socialement parlant) est momentanément extirpé de son placard pour enquêter officiellement sur l’assassinat de deux femmes étranglées sans mobile apparent selon le même rituel. Une affaire très sensible qui impliquerait la gendarmerie ou la légion ou les deux.

Le livre est écrit à la première personne par cet inspecteufracassé par la vie qui ne croit plus à un quelconque avenir. Alcoolisé, accro à la nicotine, mal habillé, indifférent à son apparence, il survit dans les vestiges qui s’écroulent de ce qui fut un hôtel particulier appartenant à sa famille. 

Ses amis sont rares, il y a bien Mustapha, son ami de classe qui tient un bar place du Marché. Ses amours se conjuguent au passé, la petite fille qu’il avait adoptée a disparu un jour, adolescente, il ne s’en est jamais remis ; la belle Sandra Mattei a plongé dans les drogues dures après la mort subite de son père. Contre toute attente, elle s’en est sortie, a retrouvé sa beauté à l’aide de la chirurgie esthétique et a ouvert une agence de placements immobiliers défiscalisés pour riches investisseurs, vivant à présent dans un luxe qui le met mal à l’aise. Il semble que tous aient composé avec la nouvelle donne...

On a affaire ici à un vrai polar noir avec un anti-héros (un type bien devenu un loser), une femme fatale, une économie en déshérence, noyautée par des voyous qui ont fait main basse sur l’île, et une atmosphère livide, sans soleil, avec les images d’un ciel toujours assombri de nuages avant la pluie. 

L’envers de la carte postale de l’Ile de Beauté, fantasmée par l’imaginaire touristique, s’appuie sur l’analyse sans concession des mutations profondes d’une société insulaire dépossédée de ses valeurs. L’auteur frappe fort. D’autant plus fort que la disparition de l’île de son enfance est sans doute pour lui une souffrance récurrente.***

*** Je me hasarde à cette interprétation par identification... étant moi-même originaire de Bastia où j’ai passé mon enfance. Quand j’y suis retournée 30 ans plus tard... il ne me restait plus que le souvenir lointain  des temps heureux...

Antoine Albertini, journaliste et écrivain, habite Bastia où il est notamment correspondant du Monde. J’avais déjà lu son livre «La femme sans tête», enquête obsessive sur une affaire tragique jamais résolue, où une jeune femme décapitée (qui passait ses vacances avec son fils dans un banal camping du Cap Corse) fut retrouvée un jour gisant dans un caveau à l’occasion de son ouverture pour de toutes autres raisons qu’une investigation criminelle.

Diffusion

J.Cl LATTES 

parution le 2 mai 2019

Notre note

4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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