« Victim » : film noir en colère

Basil Dearden, 1961, reprise 23 septembre 2009
Film culte à plus d’un titre, film militant contre l’homophobie, « Victim » aurait joué un rôle dans l’abolition des lois anti-homosexuelles au parlement anglais en 1967. En Angleterre de 1961, aussi ahurrissant que cela puisse paraître aujourd’hui, l’homosexualité était un délit puni par la loi sans parler du scandale que cela provoquait dans la société. Le film qui est un polar tendance film noir utilise cette loi repressive de l’époque pour mettre en scène les victimes d’un chantage.Un jeune homme fuit dans Londres et cherche en vain un interlocuteur pour l’aider, on ne sait pas très bien ce qu’il fuit mais on voit qu’il s’arrête dans un bar, qu’il téléphone ou rend visite à des hommes qui l’évitent, refusent de lui parler, voire le chassent comme ce libraire furieux contre lui. Seul un employé des trains, son ami, tente de l’aider. Finalement arrêté par la police pour extorsion de fonds, Boy Barrett tente auparavant de faire disparaître un album photo. Niant lors de son premier interrogatoire  par la police qu’il est victime d’un chantage, prétendant avoir dépensé l’argent détourné alors qu’il vit chichement, Boy Barrett se pend dans sa cellule pour garder son secret.
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photo Carlotta

La police convoque alors un Melville Farr, un célèbre avocat londonien, à la veille de devenir avocat général, que Boy Barrett avait essayé de joindre en vain. Farr prétend dans un premier temps qu’il connaît vaguement Boy Barrett et qu’il a cessé de le fréquenter quand celui-ci l’a harcelé dans la rue ou au téléphone. Pourtant, l’annonce du suicide de Boy, dont il comprend qu’il s’est tué pour le protéger du scandale, affecte Farr qui, bouleversé, décide de le venger au prix de ruiner sa carrière. Marié à la fille d’un juge, Farr ne lui a pas caché son homosexualité avant de la connaître, son épouse fait d’ailleurs plusieurs fois allusion à un autre jeune homme suicidé qu’il aurait connu avant son mariage quand elle apprend à la fois l’existence et la mort de Barrett.
Le film est davantage le procès de l’Angleterre puritaine et hypocrite des années 60 qu’un polar visant la résolution d’une intrigue bien que le récit soit filmé comme un suspense. Ce n’est pas seulement la loi qui persécute les homosexuels mais un état d’esprit général homophobe qu’on retrouve dans toutes les couches de la société, que ce soit l’un des flics qui parle d’être « normal », la secrétaire que la haine pousse à la délation, un ami proche de Farr dont il ignore qu’il est gay après tant d’années tant il redoute que ça se sache, etc… L’assassin ayant le visage de tout le monde, les maîtres chanteurs n’ont pas l’air de truands, d’ailleurs chacun exerce plus ou moins un chantage sur l’autre ou peut le faire. La loi qui réprimait les homosexuels anglais avant 1967 était alors surnommée « la charte du chantage ».


photo Carlotta

Mine de rien, le film est en même temps un mélodrame sentimental, on sent bien que Barr et Barrett s’aimaient trop, du moins étaient trop attirés l’un par l’autre pour se contenter d’une liaison clandestine banale, que le premier a stoppé toute relation pour  ne pas mettre en péril ses ambitions sociales et professionnelles, que le second l’a respecté au point de se tuer pour se taire.  Un sacrifice qui va finalement en entraîner un autre, conduire Barr à refuser de poursuivre une vie dans le mensonge, au delà de venger son ancien amant devenu un symbole de l’oppression dont toute la communauté gay est victime. Le mariage de Farr n’est pas caricaturé, une vraie complicité lie les époux dans l’adversité, démontrant combien les unions  et les sentiments sont complexes, si Farr est attiré par les hommes, il a néanmoins besoin de sa femme qu’il aime et respecte.
Bien qu’on ait comparé ce film à ceux de Joseph Losey pour l’appréhension psychologique des personnages, on est ici dans le premier degré, dans un film dénonciateur et révolté bien nommé « Victim » ; Dick Bogarde joue le rôle d’un homme dur qui a fait des choix de vie ambitieux mais à qui le chagrin et l’injustice vont rendre son intégrité morale et le transformer en homme en colère, courageux et revendicateur prêt à mettre en péril sa vie sociale, professionnelle et familiale. Au delà de l’interprétation exceptionnelle de Dick Bogarde et du document que constitue ce film pour la plupart des spectateurs ignorants de cette époque, on est à la fois proche et loin de son futur rôle dans « The Servant » de Losey, proche dans le ton et l’image mais éloigné dans le fond.

photo Carlotta
« Il est incroyable de penser, à notre époque très libérale, que faire ce petit film ait jamais pu être considéré courageux, osé ou dangereux. A l’époque, il était les trois à la fois » (Dick Bogarde fait ici allusion aux difficultés du tournage du film « Victim » réalisé dans des conditions difficiles avec une pression constante pour l’interrompre…)Film distribué par Carlotta. Sortie le 23 septembre 2009.

 

Notre note

5 out of 5 stars (5 / 5)

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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