« La Désintégration », film événement malgré lui, et l’éclairage de la rencontre avec Yassine Azzouz

Philippe Faucon, sortie 15 février 2012
 

Hier après-midi, je suis allée dans les locaux de Pyramide distribution à Paris à la rencontre du comédien Yassine Azzouz, qui, avec Rashid Debbouze, a un des deux rôles principaux de « La Désintégration » (sortie le 15 février sur les écrans). Bien que le réalisateur ait confié que le film ait eu du mal à se monter, le sujet effrayant les producteurs (à part Canal+ en pré-achat, aucune chaîne de TV n’y a participé), il crée aujourd’hui l’événement, une pluie d’articles dans les médias (notamment deux articles dans « Le Monde »). Un événement proportionnel à la force du sujet, l’endoctrinement de trois jeunes français d’une cité Lilloise, dont deux issus de l’immigration, le troisième converti à l’islam radical, qui, en deux mots, n’en peuvent plus de ne pas s’insérer socialement. Et inversement proportionnel à la forme du film sobre et épuré avec un habile crescendo qui frappe fort, en intelligent contrepoint, très efficace, on en sort glacé, impossible de ne pas être touché.

Frappée par la détermination et le charisme de Yassine Azzouz, je ne serai pas étonnée qu’on en reparle bientôt… Le comédien croit en ses rêves et s’en donne les moyens, dans la foulée de « La Désintégration », il vient de signer avec la production du film un contrat comme scénariste et acteur de son projet américain « Hollywood Me ».
—— 

 

« La Désintégration »

Pitch.
La montée de l’islam fondamentaliste dans une cité de Lille où trois jeunes gens d’une vingtaine d’année, victimes de discrimination, sont endoctrinés par un trentenaire, qui, pour l’avoir vécu lui-même auparavant, instrumentalise leur malaise.

 

 


Photo Pyramide distribution

Le film, l’éclairage de l’entretien…

Comme disait le commentaire d’un puriste sur Facebook, on n’aurait pas dû appeler ce film la désintégration parce-que cela supposerait qu’on aurait été intégré, puis, désintégré, mais n’en rajoutons pas, le titre sonne bien et tout le monde comprend ce qu’il veut dire.D’ailleurs, lors de la rencontre avec le comédien Yassine Azzouz hier chez Pyramide distribution, il a dit clairement qu’il en avait assez de s’entendre dire qu’il fallait s’intégrer alors qu’il est français. L’intégration, l’assimilation, Yassine Azzouz ne se sent pas concerné, il préfère parler d’insertion sociale.


Trois jeunes d’une vingtaine d’années dans une cité de Lille. Trois profils différents mais trois jeunes gens qui vivent avec un sentiment d’échec, d’injustice, d’exclusion sociale : le premier, Nasser, a frappé un type qui tenait des propos racistes, il se cache ; le second, Ali, cherche en vain à trouver un stage, son père à l’hôpital, sa mère faisant des ménages ; le troisième Bruno, récemment converti à l’Islam, qui changé de nom pour Hamza, le plus radical des trois, quasiment mutique, cherche une revanche sur la société.Un jour, Djamel, un homme un peu plus âgé que les trois jeunes gens, s’invite dans leur intimité avec la force d’avoir connu comme eux, à leur âge, les désillusions, le sentiment d’exclusion… Un an durant, Djamel va endoctriner Ali, Nasser et Hamza, un pernicieux crescendo dont le film se fait l’écho par une mise en scène simple, épurée, anti-spectaculaire, un parti pris factuel où les micro-événements vont s’enchaîner jusqu’au point de non retour et au final d’une violence sourde.

Entretien avec Yassine Azzouz sur la construction du personnage de Djamel :
Yassine comprend rapidement qu’il ne faut pas en faire trop, bien que les monologues écrits par Philippe Faucon lui donnaient au départ l’envie « de s’envoler » ; 

au contraire, il faut en faire moins, la force du personnage réside dans sa sobriété (« le mec discret qui ressemble à tout le monde »), ses certitudes, son calme, il parle à voix basse, d’un ton monocorde, avec une voix qui agit « comme de l’hypnose ». L’intelligence du discours de Djamel, c’est d’intégrer du faux dans le vrai, une grande partie de ce qu’il dit aux jeunes qu’il endoctrine est ce qu’ils ressentent, il le sait, le reste, c’est la supposée solution qu’il est censé leur apporter : le sacrifice de leur vie, et cela passe par des conversations où il leur assène que la vie n’a de valeur que par rapport à ce que le créateur en décide, seul à savoir « ce qui est bon pour eux ».  Il cite, parmi ses modèles, le personnage d’Aaron Eckhart dans « Thank you for smoking » qui manie la rhétorique comme un fonds de commerce.

Photo Pyramide distribution

Ce qui frappe, c’est la rapidité et l’intensité avec lesquelles les trois jeunes gens sont endoctrinés, le personnage d’Ali (Rashid Debbouze) est le plus développé : ne trouvant pas de stage, son premier geste de colère fort sera de déchirer ses cours, ensuite, il va devenir agressif avec sa soeur qu’il voudrait voir voilée, puis avec sa future belle-soeur non musulmane que son frère s’apprête à épouser.

Entretien avec Yassine Azzouz sur l’endoctrinement :
Ce pourrait être aussi bien un discours d’une secte comme Raël ou le Temple solaire. Il voit son personnage de Djamel comme un gourou qui endoctrine les jeunes en déshérence (« les entants abandonnés de la République », Yassine insiste pendant l’entretien sur la dimension politique, sur la responsabilité des politiques), un protocole insidieux qui s’effectue par paliers, avec le point clé de la rupture sociale : les désolidariser de leur famille. Les film a changé trois fois de nom, d’abord, il devait s’appeler « Kamikaze », puis « Le Fils perdu », enfin « La Désintégration ».
  Yassine se souvient que durant la guerre en Irak, il y a eu des jeunes en France enrôlés pour aller là-bas, avec pour motivation d’aller retrouver leurs racines, leurs fondamentaux, dans des écoles coraniques, ne sachant pas à quoi ils avaient affaire.

Le film oppose le spectre de l’islam radical, sous les traits d’un homme d’une trentaine d’années, Djamel, l’endoctrineur, qui recrute des âmes perdues pour en faire des martyrs du Djihad, de la révolution, à un islam modéré conduit par l’Iman de la cité qui organise les prières des fidèles, qu’il exhorte à la tolérance, sur une pelouse de la cité pour la simple raison que les lieux de culte sont trop exigus pour accueillir tout le monde,  ou encore le personnage de la mère d’Ali, symbole de la génération précédente qui a cherché à s’intégrer dans la société française sans beaucoup de retour ; la mère d’Ali accueille, intimidée, la future épouse « française » de son fils, mélange les langues en parlant à ses enfants, le français et l’arabe, va travailler sans voile qu’elle porte ensuite chez elle. Le film insiste sur le poids que pèsent les difficultés passées d’intégration de leurs parents sur l’état d’esprit des jeunes français « issus de la diversité » d’aujourd’hui, par ailleurs, surinformés par les médias sur les conflits mondiaux dont ils se sentent solidaires. Seul petit bémol sur la forme du film, imputable sans doute au manque de moyens, dans le processus d’endoctrinement, l’entraînement physique à la guerre des trois jeunes gens est peu traité dans le récit et on passe un peu trop vite à la phase finale.

Hormis Ymanol Perset (Hamza), basque ayant été élevé dans le 19° arrondissement de Paris, tous les acteurs qui se sont investis dans ce film engagé, sous la direction de Philippe Faucon, sont des français issus de l’immigration qui ont grandi dans des banlieues dites « sensibles » : Rashid Debbouze (Ali), dans une certaine mesure, qui se dit lui-même plus préservé que d’autres par son grand frère (Jamel Debbouze) , Yassine Azzouz (Djamel, l’endoctrineur), Mohamed Nachit (Nasser) et Kamel Laadaili (le grand frère d’Ali). Entretien avec Yassine Azzouz, les projets :
C’est vrai que Yassine n’a pas envie de « jouer les terroristes » toute sa carrière. Dans la série « Djihad » (2006), il avait également le rôle d’un endoctrineur. Bilingue français, anglais, son rêve américain risque bien de se réaliser… Passionné de cinéma américain (à 90%, c’est ce qu’il regarde), Yassine Azzouz tâcle les acteurs français qui déclarent ne pas être intéressés par une carrière aux USA… Lui, il a envie d’aller à Hollywood, et il le dit, d’ailleurs, il vient de signer un contrat avec Screen runner pour un projet dont il est scénariste et sera l’acteur principal, peut-être aussi le réalisateur : « Hollywood Me » (en référence à « Super size Me » de Michaël Moore). Ses modèles : Tahar Rahim, qui est son ami, présent à l’avant-première de mercredi dernier au Comedy club, et Vincent Cassel : des comédiens bosseurs, talentueux, qui possèdent la qualité essentielle : l’humilité.

Voir aussi quelques photos de l’AP du film mercredi dernier au Comedy club…

Page Facebook du film…

  {{Ma Note 4}}

Mots clés: , , , , ,

Partager l'article

Lire aussi

Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

Laisser un commentaire

Votre email ne sera pas publié. Remplissez les champs obligatoires (required):

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Back to Top