rétrospective Aldrich : « The Killing of sister George » et « The Grissom gang » (« Pas d’orchidées pour Miss Blandish »)

Robert Aldrich, 1969 et 1971
La Rétrospective Aldrich en duplex 35° festival du cinéma américain de Deauville/Cinémathèque française se poursuit jusqu’au 5 octobre 2009… A Deauville, je me suis précipitée voir « Pas d’Orchidées sur Miss Blandish » d’après le roman de James Hadley Chase, film multiple, enthousiasme! De retour à Paris, je suis allée voir un film plutôt méconnu d’Aldrich « Faut-il tuer Sister George? » : ce dernier, malgré son audace, a pour moi le même défaut que « Le Grand couteau », sorti récemment en DVD : trop théâtral. Et je ne parle pas de la tendance d’Aldrich à la théâtralisation souvent horrifique (« Baby Jane », voire certaines scènes de « Miss Blandish »), ce sont les échanges, les dialogues de connotation théâtrale confinés dans une unité de lieu ou presque qui me gênent, « Le Grand couteau » dans l’univers du cinéma, « Sister George » celui proche des séries télé. Pour retrouver un super-grand Aldrich parlant du cinéma au cinéma, il faudra attendre… pas longtemps « The Legend of Lylah Care » (« Le Démon des femmes ») car le film sort bientôt en salles en reprise (le 7 octobre 2009) Les films les plus connus d’Aldrich, son chef d’oeuvre « Kiss me deadly » ( « En Quatrième vitesse ») ou le plus choc « What ever happened to Baby Jane? » existent en DVD ainsi que « Hustle » (« La Cité des dangers »), tourné en 1975. 

    

 

« The Killing of Sister George » (« Faut-il tuer Sister George? »), 1969 

 

Un sujet en or, un traitement du sujet assez scandaleux pour l’époque, d’ailleurs le film fut classé X interdit aux moins de 16 ans lors de sa sortie. Parce qu’il met en scène un couple de femmes établi, sans la moindre hypocrisie, l’une jeune et l’autre pas… June, que tout le monde appelle George à cause de son rôle de Sister George, pimpante religieuse altruiste dans une série TV, n’a pas tout à fait le même mode de vie dans la réalité que dans le feuilleton : alcoolique, jalouse, elle harcèle et tyrannise sa jeune compagne de suspicion et de sous-entendus, voire de sévices, dévorée par l’angoisse, l’amertume. Comme si cela ne suffisait pas, June est menacée qu’on tue son personnage de Sister George dans la série, le moindre rhume dans le scénario d’un épisode l’inquiète.
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Démarrant par un florilège de plans tous plus inventifs les uns que les autres suivant June dans la rue qui marche et marche encore, le film va se modifier rapidement pour une dimension nettement plus statique et théâtrale avec pléthore de tirades, de dialogues et effets de manche. Le culot de ce film n’est pas seulement de montrer clairement l’homosexualité féminine (fête costumée dans une boite lesbienne, scènes explicites d’étreintes dont une érotique vers le fin du récit,  filmée dans un silence de mort alors que bp de scènes sont en musique, la salle muette aussi…). Culot aussi de faire d’un drame pathétique une tragicomédie, un film tirant vers le loufoque bien des fois, se redressant vers le mélo et repiquant dans ce qu’on craint de tourner à la farce, on y serait presque de temps en temps…
Le réalisateur n’a visiblement pas pu se résoudre à faire un vrai mélodrame de ce sujet féroce du vieillissement et d’une actrice et d’une amoureuse au seuil de tout perdre à cause de son âge mais il a fait peut-être pire… Plus cruellement encore, June au seuil de tout perdre parce que son âge lui fait tellement peur d’être rejetée qu’elle devance inconsciemment l’appel en étant monstrueuse en couple et odieuse sur le plateau de télé. Il semble que dans cet univers de monstres, les vrais monstres ne sont pas  seulement ceux que l’on désigne comme tels et que le réalisateur se soit attaché à Sister George devenue victime dans sa chute : les scénaristes de la série poursuivant leur travail débile, proposant à June de jouer la voix d’une vache dans un film d’animation pour enfants, la productrice volant Childy à June dans sa propre chambre, la jeune femme soumise se vendant finalement à la plus offrante…

Susannah York
Aldrich n’a aucune illusion sur le monde du spectacle qu’il semble vomir, dans « Le Grand couteau », c’est le cinéma, ici les séries soap, mais la cruauté du statut de l’actrice vieillissante privée d’une célébrité dont elle ne peut se passer le touche (« Sister George », « Baby Jane »), Childy étant un peu les deux, trentenaire, elle fait l’enfant en baby-doll couleur layette (Bette Davis dans « Baby Jane » habillée en Shirley Temple). Dans le rôle de Childy, la compagne de Sister George, femme-enfant vivant entourée de poupées et rêvant d’un destin artistique, une extraordinaire composition de Susannah York en ingénue perverse qu’on ne voit pas venir.

 

« The Grissom gang » (« Pas d’orchidées pour Miss Blandish »), 1970 



Thriller manière Aldrich, c’est à dire plus cruel que la moyenne, le tabou social notamment y est traité de manière impitoyable. Une fille de milliardaire capricieuse est kidnappée par une bande de bras cassés, un peu par hasard, une photo sur le journal disant qu’elle va porter un collier hors de prix à une soirée leur a donné de mauvaises idées… Les trois kidnappeurs sont alors suivis par plus féroces qu’eux : Barbara Blandish est récupérée par bien pire que ses ravisseurs d’origine : the Grissom gang tenu d’une main de fer par une mère féroce et autoritaire dans le genre Ma Dalton. Et dans ces frères Grissom, Slim, un psychopathe demeuré, un maniaque des armes blanches, puceau qui trouve sa jouissance en tuant au couteau mais fils préféré de sa maman…
 


A la marâtre, Slim demande de lui laisser jouer avec Miss Blandish, la mégère ne se méfie pas, mais Slim tombe amoureux, on aurait dû le comprendre quand il rend lui rend son collier au tout début… Furieuse, dépitée, Ma Grissom va tabasser elle-même Miss Blandish pour lui apprendre qui est le chef. Malgré les moqueries et les menaces, Slim tient bon et surveille sa Barbara enfermée dans une chambre au premier. Comprenant que le gang veut tuer Barbara malgré la remise de la rançon, Slim s’y oppose. L’argent de Blandish servant aux Grissom
à acheter un cabaret en ville, Slim installe sa fiancée dans un appartement contigu du plus mauvais genre mais qu’il a décoré avec argent et amour (les olives dans le frigo pour son martini dry). Dans l’intervalle, Slim a vengé Barbara qu’un des frères voulait violer en son absence, on retrouve la veine horrifique Aldrich dans cette superbe scène de tuerie avec Miss Blandish adossée en robe blanche contre un mur entre répulsion et plaisir. Dans le gang Grissom, c’est finalement Slim le plus sympathique, c’est dire le niveau… Savoureux personnage que Doc, le compagnon de Ma Grissom, opportuniste et lâche qui ne songe qu’à faire un bon repas…

Le comportement ignoble du milliardaire Blandish n’a rien à envier au gang Grissom malgré son raffinement d’homme du monde : quand il apprend que sa fille est vivante au prix su scandale d’avoir partagé la vie d’un des gangsters, il dit clairement qu’il l’aurait préféré morte, d’ailleurs, sa fille elle-même, connaissant les codes de son milieu social, sait qu’il va la rejeter et non pas être heureux de la revoir… Finalement émue par l’amour à la vie à la mort que lui porte Slim, Barbara Blandish entrevoit ses propres carences affectives et révise ses préjugés, elle s’attache à lui, dans la scène finale, chacun voudrait sauver l’autre… 

Un polar noir en couleur légérement horrifique, une touchante histoire d’amour entâchée du tabou social entre kidnappée et kidnappeur, un second degré vaguement parodique, beaucoup de niveaux de lectures pour ce grand moment de cinéma. Une fois encore, Aldrich se complait à dépeindre la bassesse et la veulerie des comportements et des sentiments humains (où le psychopathe fait figure du seul être pur) autant qu’à traiter de l’intrigue du polar de Chase.


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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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