"Truman Capote" : The Truman Show

Bennett Miller, 2006

 

Quand on sort de la salle, on est un peu comme Truman Capote après l’exécution de Perry Smith : triste car c’est une histoire infiniment triste que la rencontre de Truman Capote, écrivain de renom, avec son double de l’ombre, celui qu’il aurait pu être, le condamné à mort Perry Smith, qu’il va à la fois aider, vampiriser et rejeter. Capote ne se remettra jamais de son exécution qui entraînera sa mort à lui comme écrivain, car il n’écrira plus rien, et sa déchéance dans l’alcool et les drogues.——

15 novembre 1959 : un univers blanc et vert passé : une maison blanche isolée dans la campagne verte, une voiture claire garée sur la route, une jeune femme à queue de cheval et escarpins noirs, vêtue de rose buvard, pousse la porte et appelle «Nancy!», arrivée au premier étage, elle se met à hurler. On filme un unique plan sobre et rapide sur un mur livide tâché de sang et une chevelure d’enfant dans son lit

Au même moment, New York la nuit, Truman Capote, smoking, champagne et cigarette, pérore dans une soirée très hype aux couleurs chaudes saturées de jaune, on fait cercle autour du persifleur de génie qui casse les people dont ils sont tous avec un humour au vitriol. Le réalisateur nous montre immédiatement Truman Capote en situation dans une de ses activités favorites : les mondanités.

De retour chez lui, Capote est saisi par la lecture d’un fait divers dans le New York Times : l’assassinat d’un riche fermier et de sa famille tués dans le Kansas, les Clutter. Capote décide immédiatement d’aller sur place enquêter sous le prétexte d’écrire un reportage pour le New Yorker et prend aussitôt le train avec son amie, Nelle Harper Lee qui l’accompagnera souvent. Capote lui confiera «une chose aussi effroyable, ça me rassure», lui avouant combien il n’est pas doué pour la normalité.

Truman Capote va passer des mois à Holcomb dans le Kansas jusqu’à décider que ce qu’il a à raconter étant beaucoup trop long pour un reportage, il écrira un livre d’un genre nouveau : le roman «non fiction» avec lequel il espère frapper un grand coup sur la scène littéraire. Bien qu’il soit déjà une star de la littérature new-yorkaise et de la jet-set, une notoriété qui n’a de pendant que celle d’Andy Warhol à l’époque, en 1959, Capote n’a écrit que trois livres * «Les Domaines hantés», «La Harpe d’herbes» et le célèbre «Petit déjeuner chez Tiffany» (dont a été tiré un film avec Audrey Hepburn). Mais ce que Capote ignore, c’est que non seulement, il va passer cinq ans de sa vie à enquêter au Kansas mais que, moralement et psychologiquement, il n’en reviendra jamais.

Ce «non fiction novel» qu’il appellera «De sang-Froid» («In cold blood»), né de la vampirisation des deux coupable de la tuerie de la famille Clutter, surtout un certain Perry Smith qui le fascine et dont il tombera vaguement amoureux, selon ses proches, le condamnera à la stérilité écrivaine car ce sera son dernier livre. Quand Truman Capote meurt en 1984 à 60 ans, rongé par les drogues et les excès, de son futur chef d’uvre « Prières exaucées » qu’il aurait voulu une sorte de «Recherche du temps perdu» comme celle de Proust, il n’a rien écrit ou presque

Le 6 janvier 1960, la police arrête les assassins de la famille Clutter : deux jeunes déliquants, Perry Smith et Richard Hickok. Quand Truman fait la connaissance de Perry, il est d’abord frappé par la beauté et la sensibilité du jeune homme, son compère, Dick, un personnage rustre et ordinaire, ne l’intéresse pas. Le premier échange en dit long, comme Truman Capote s’approche de la cellule du prisonnier, Perry raille «je pourrais vous tuer si vous approchez trop». Quand Capote lui apporte son premier livre à lire dont il avait déclaré lui-même qu’il devait son succès à sa photo de couverture, adolescent dans une pose terriblement suggestive, Perry observe «votre photo manque de dignité».

Quand Perry et Dick sont condamnés à mort en première instance, Capote monnaye un permis de visite illimité à la prison et se démène pour leur trouver de nouveaux avocats et faire appel. Bien que Truman, en bon stratège, se confie à Perry, pour en obtenir des torrents de confidences en retour, il partage avec le jeune homme une enfance traumatique : la mère de Capote l’emmenait de ville en ville selon les hommes riches qu’elle traquait, «toutes les nuits, elle m’enfermait à clé dans des chambres d’hôtel, j’étais terrifié», jusqu’à ce qu’elle le confie à des cousines à la campagne. C’est là qu’il fait la connaissance de son unique vraie amie : Nelle Harper Lee qu’il retrouvera ensuite, tous deux écrivains à succès à NY. La mère de Capote finira par se suicider comme le frère et une sur de Perry Smith, sa mère à lui, alcoolique, les ayant abandonnés à l’orphelinat. Truman Capote a cette phrase «c’est comme si Perry et moi on avait été élevés dans la même maison et qu’il était sorti par la porte de derrière et moi par la porte de devant».

Avec les années qui passent, Capote craque et en vient à espérer qu’échouent les demandes de sursis des deux condamnés pour lesquels il a pourtant payé leurs avocats. Rongé par la culpabilité d’avoir souhaité la mort de Perry et de Dick pour finir son livre, Capote ne se remettra jamais de leur pendaison à laquelle, contre toute attente, il assiste en avril 1965. «De Sang-froid» sera un colossal succès de librairie et le début de la chute de Truman Capote. Il finira sa vie entre alcool, drogue et solitude, délaissé par la jet-set rancunière qu’il fréquentait assidûment mais dont il a balancé trop de scandales et d’indiscrétions à l’occasion de ses chroniques dans «Esquire».

Les acteurs :
Philip Seymour-Hoffman : Truman Capote
Clifton Collins jr : Perry Smith
Chris Cooper : Alvin Dewey
Mark Pellegrino : Richard Hickock
Catherine Kenner : Nelle Harper Lee

Philip Seymour Hoffman imite à la perfection ce dandy insupportable et maniéré avec ses petits gestes étriqués et frileux, infiniment lents pour déboutonner son manteau ou allumer sa cigarette, serrant précautionneusement ses journaux contre son cur, le petit doigt en l’air en tenant une flûte de champagne, sa voix de fausset à la fois traînante et suraiguë, quelquefois inaudible. Dans ses manteaux élégants et nombreux, trop serrés, l’homme étant bouffi et grossi, Capote détonne autant dans le Kansas, drapé dans des écharpes en cashmere et des pardessus en poil de chameau, que par ses poses et ses rires cristallins. Comme on le dit dans «Les Inrock» cette semaine très justement, le parti pris d’interprétation de Philip SH est l’imitation aux antipodes du travail d’acteur d’un Joaquim Phoenix dans «Walk the line» qui ne mise pas sur la ressemblance physique et le mimétisme mais incarne le personnage de l’intérieur. Deux écoles dont il semble que la seconde soit mille fois plus génératrice de possibilités et d’émotions que la première. Mais s’agissant de Philip SH dans le rôle de Truman Capote, cette copie conforme fonctionne et vient d’ailleurs d’obtenir l’Oscar du meilleur acteur.

Les personnages secondaires, l’amie Nelle Harper Lee (Catherine Keener) et le compagnon, Franck (Bruce Greenwood), sont totalement désincarnés, ils figurent dans le scénario, ils accompagnent, l’action étant « focussée » (pardon pour l’anglicisme) sur le tête à tête Capote-affaire Clutter, puis Truman Capote-Perry Smith, enfin Capote et l’écriture.

Le premier film de Bennet Miller est une réussite visuelle avec des plans purs et léchés, des couleurs sobres, des reconstitutions raffinées des années 60, avec le paradoxe d’enchaînements rapides des scènes et des situations sur un rythme lent et languissant traduisant parfaitement l’attente des condamnés, celle de Capote, la gestation de l’écriture, le vrai prédateur de l’histoire. Les scènes à New-York utilisent beaucoup la pléthore des couleurs et des sons : lumières électriques jaunes, habillage musical et bavardage incessant des ambiances survoltées des soirées, contrastant avec l’austérité de la campagne pâle, verte et silencieuse, des lieux du crime, cette maison vide avec les photos en noir et blanc sur les meubles.

Un beau film émouvant d’un homme à la recherche de lui-même tel qu’il aurait pu devenir, pour lequel il éprouve compassion et horreur, le récit de l’impossible réconciliation entre l’homme, son passé, ses pulsions, et l’écriture, ce venin Truman Capote n’a plus jamais terminé un roman et on peut lire sur le générique la terrible phrase de Sainte Therère d’Avila «il y a plus de larmes au ciel sur les prières exaucées que sur celles qui ne le sont pas», «Answered prayers», le titre de son dernier roman inachevé**.

*Le premier roman de Truman Capote, écrit à 19 ans en 1943, retrouvé dans un carton confié à son concierge pour la poubelle, vient de paraître aux USA sous le nom de «Summer crossing», il sera traduit en français pour l’été…

**Trois chapitres publiés en France sous le nom de «Prières exaucées».

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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